Avec Torrentius Colin Thibert nous amène dans la Hollande du XVIIe siècle, dans la ville rigide et austère de Haarlem, aux mains de protestants avec lesquels il ne fait pas bon plaisanter… Et l’auteur de nous entraîner dans le monde des baladins, des artistes, de quelques intrigants, de religieux radicalisés sans omettre quelques lieux interlopes.
Torrentius, alias Johannes van der Beek, est un peintre de natures mortes assez peu ordinaire – encore que nombre des artistes picturaux que nous avons connus à travers l’Histoire ne manquaient pas d’appétence pour les choses de la chair -, tonitruant, farceur, bon mangeur, bon buveur et grand baiseur devant l’Éternel. Et justement, l’engouement de Torrentius pour l’entretien régulier de son priapisme, les poitrines généreuses, les origines du monde de tous âges vont lui porter malheur. Non content de baisser plus souvent son pantalon pour montrer à ses damoiselles, à ses dames toute sa joie de vivre – qu’elles posent pour lui, qu’elles lui servent à manger, qu’elles s’affichent comme femmes de petite vertu -, l’hédoniste personnage va s’attirer les foudres des représentants de l’Église. Des protestants… Des purs (encore que) mais surtout des durs.
À l’occasion du démantèlement du petit commerce juteux de ce peintre fantasque – des croquis pornographiques vendus sous le manteau pour satisfaire les appétits de quelques bourgeois, les séances d’onanisme de quelques responsables de l’Église, et même du roi Sa Majesté Charles Ier d’Angleterre (lequel lui a aussi passé commande d’une œuvre), Torrentius va devoir répondre de ses frasques tant devant la justice des hommes que la justice divine (représentée et orchestrée par ces mêmes hommes). Et cela ne va pas manquer de sel comme de panache aux dépends du pauvre peintre victime de ses propres errances. Oui mais voilà, Torrentius ne se laisse pas coincer comme cela, c’est que le bougre ne manque ni de raison ni de verve. Et la joute verbale qui l’oppose à son accusateur, Velsaert, le dangereux et venimeux procureur, dans le prétoire d’un jugement fantoche n’en finit pas. On aimerait le soumettre à la Question, ce n’est pas si facile.
Au bout de diverses péripéties, Torrentius s’en sortira peut-être. Non sans dommages tout de même. Mais il est coriace, drôle, grandiloquent autant que piètre stratège parfois, souvent victime des réactions pulsionnelles de son appendice autant que de son gosier toujours assoiffé et que dire de son panier éternellement percé. Torrentius est sympathique et attachant autant que scandaleusement libertaire doublé d’une fainéantise compulsive.
Ce roman est une véritable petite pépite qui permet tant de rire que de réfléchir. On ne peut s’empêcher de penser tantôt à Candide, tantôt à La Controverse de Valladolid. Au-delà des mésaventures d’un homme souvent rocambolesque c’est aussi la photo de la société d’une époque, plus encore sont dénoncés tous les dangers quand le religieux prend le pas sur tout et gouverne, ordonne la vie du quidam sous peine de représailles si l’on manque aux dogmes. Remarquablement écrit !
Torrentius – Éditions Héloïse d’Ormesson – Colin Thibert – 128 pages. Parution : 22 août 2019. Prix : 15,00 €.
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PHOTO DE COUVERTURE © PAULETTE TAVORMINA, COURTESY THE ARTIST AND ROBERT MANN GALLERY, NEW YORK
Né en 1951 à Neuchâtel, Colin Thibert est écrivain et scénariste pour la télévision. Il a longtemps pratiqué le dessin et la gravure. En 2002, il a reçu le prix SNCF du Polar pour Royal Cambouis (Série noire, Gallimard). Son dernier roman, Un caillou sur le toit, est paru en 2015 chez Thierry Magnier.