La Vie de Galilée de Brecht par Jean-François Sivadier, Distanciation critique ?

 Jean-François Sivadier est artiste associé au TNB (Théâtre National de Bretagne) depuis 2002. Il proposait du 9 au 13 décembre une mise en scène de La Vie de Galilée, œuvre centrale de Bertold Brecht. Créé il y a douze ans, ce spectacle connait un vif succès. Justifié ? Ou a-t-on encore droit à l’une de ses répétitives mises en scène qui, sous couvert d’un avant-gardisme en pratique étriqué, fait croire au spectateur tout ce que son orgueil désire : qu’il fait partie du petit gotha d’êtres cultivés et critiques amis des arts. Ah, toute cette bien-pensance idéologique gentiment révolutionnaire et économiquement grassement nourrie qui, malgré ce qu’elle en croit, est à mille lieues de la pédagogie critique de Brecht… 

vie de galiléeAprès avoir connu un fil ininterrompu de succès avec Le Misanthrope, La Mort de Danton, Le Roi Lear, La Dame de chez Maxim, La Traviata, Jean-François Sivadier revient à un texte qu’il affectionne entre tous : La Vie de Galilée de Bertolt Brecht. Et ce, pour le plus grand plaisir des spectateurs du TNB à en croire la majeure partie des réactions pendant l’entracte.

À l’image d’un satellite, Sivadier semble avoir accompli un cycle théâtral et reprend, une dizaine d’années plus tard, l’une de ses premières mises en scène. Ce désir de travailler une nouvelle fois le texte de Brecht s’explique facilement si l’on en croit le metteur en scène : plus l’auteur parle de science, plus il parle de théâtre ; et quand Brecht parle de théâtre, il parle aussi de notre société. Aussi le texte de Brecht, écrit dans une langue fluide et poétique lors de son exil, offre-t-il une tribune à Sivadier.

vie de galiléeLe metteur en scène utilise le procédé de distanciation brechtienne (verfremdungseffekt) et fait dire au comédien interprétant Galilée une satire visant les hommes politiques contemporains. A l’occasion de ces diatribes, Sivadier l’histoire de Galilée, lequel grâce à sa lunette télescopique prouve aux puissants que la Terre n’est pas le centre de l’univers, mais qu’elle tourne autour du soleil. Un certain monde s’effondre pour laisser place à un nouvel ordre construit par la science et la raison. Ainsi Galilée peut-il déclarer : Aujourd’hui, 10 janvier 1610, l’humanité inscrite dans son journal : ciel aboli.

Conformément à l’héritage brechtien d’un théâtre ludique et esthétiquement critique, Sivadier instaure un rapport interactif avec les spectateurs interpellés à plusieurs reprises par les comédiens. « Vous doutez, vous ? non ? Moi je doute des courbes qui montent ». Ces apostrophes incitent le public (certes, majoritairement rodé à l’exercice) à douter des évidences, des discours des politiques et autres experts institutionnels, voire de la perception qu’ils ont du monde.

vie de galiléeEn modifiant et en actualisant le texte, Sivadier convoque également une réflexion sur cet art vivant qu’est le théâtre. Le metteur en scène exhibe cette vivacité, cette mobilité intrinsèque à l’art théâtral d’une manière concrète grâce au décor modulable, construit ingénieusement avec des structures en bois et des tréteaux. Fidèle à la pratique brechtienne, Sivadier montre au public les changements de décor et de costume. Les huit comédiens qui interprètent une trentaine de rôles d’une manière remarquable entrent et sortent du plateau, descendent du plafond, s’installent dans le public.

vie de galiléeTout cela n’est pas gratuit. L’énergie déployée sur scène ne comble pas un vide, mais au contraire soutient le texte, le mouvement de la pensée : celle de Galilée qui déroule dans une langue soutenue le fil de sa démonstration scientifique et philosophique. En pratique, la mise en scène de Sivadier sait rendre le sens du texte de Brecht et cet étrange vertige que ressent l’homme face à un discours qui déconstruit le monde et révèle les certitudes établies, mobiles et instables.

À l’instar de Galilée, Sivadier sort sa lunette afin de monter aux spectateurs un ciel poétique où Brecht a posé des mots sur l’histoire d’un scientifique qui a lutté pour les lumières de la raison avant de se courber sous le poids de l’Inquisition. « Les théologiens ont leur son de cloche, les mathématiciens leur rire ». Sivadier rend présent ce rire jaune, autrement dit cette lutte pour la vérité, en ancrant magnifiquement sa mise en scène dans cette conception du théâtre épique de Brecht à visée réflexive. Succès amplement mérité pour un théâtre réellement critique et imaginatif.

collaboration artistique Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit, Nadia Vonderheyden
distribution de la reprise Nicolas Bouchaud (Galilée), Stephen Butel (Andrea, un moine), Éric Guérin (Priuli, le mathématicien, le très vieux cardinal, Cardinal Bellarmin, Gaffone, un homme), Éric Louis (Sagredo, Cosme de Medicis, le petit moine), Christophe Ratandra (Ludovico, le philosophe, le Grand Inquisiteur, un moine), Lucie Valon (Virginia, la Grande Duchesse, un moine), Nadia Vonderheyden (Madame Sarti, Cardinal Barberini, Vanni, un moine), Rachid Zanouda (Federzoni, Clavius)
assistante à la mise en scène Véronique Timsit
décor Christian Tirole, Jean-François Sivadier
costumes Virginie Gervaise
lumière Philippe Berthomé
régie générale Dominique Brillault
régie lumière Jean-Jacques Beaudouin
Poursuite Damien Caris
Régie Son Eve-Anne JoallandRégie Plateau Christian Tirole
Accessoires Julien Le Moal
Habillage Valérie de Champchesnel
production déléguée Théâtre National de Bretagne/Rennes
coproduction Le Maillon, Théâtre de Strasbourg ; La Halle aux Grains, Scène Nationale – Blois ; La Rose des Vents – Villeneuve d’Ascq ; Italienne avec Orchestre

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