Avec ce coffret regroupant les cinq premières BD de Manu Larcenet, les éditions Les Rêveurs offrent une magnifique occasion de découvrir ou redécouvrir les fondements d’une oeuvre si personnelle et universelle. Un must de l’édition.
Manu Larcenet est un des plus grands auteurs de BD actuels. Lorsque l’on écrit cela on dit tout et on ne dit rien. Insaisissable, on passe avec lui de l’introspection à la BD psychédélique. Il nous a habitué depuis plus de vingt ans à adapter des romans noirs comme Le Rapport de Brodeck, à s’interroger sur le sens de notre vie avec sa formidable série Le Combat ordinaire ou à percevoir le plus noir de l’âme humaine avec son exceptionnel Blast.
Un point commun, fil conducteur de cette oeuvre : la sombre introspection marquée par des névroses et des difficultés à vivre, dissimulées parfois derrière un humour potache et dérisoire. Diagnostiqué bipolaire depuis, ce constat médical sert de toile de fond invisible à des dizaines d’albums. L’auteur étant âgé désormais de plus de cinquante ans, le lecteur peut regarder à son tour dans le rétroviseur et les éditions Les Rêveurs lui offrent avec un magnifique coffret la possibilité de découvrir ou redécouvrir les premiers albums autobiographiques parus à la fin des années 90 chez cet éditeur.
Cinq albums pour le prix de quatre peut être l’argument commercial, mais surtout cinq albums qui, s’ils ne sont pas dénués de défauts minimes, ouvrent les perspectives de chefs d’oeuvre à venir. Pourtant dans ses postfaces, Larcenet déclare qu’il n’a jamais relu ces BD affirmant que « la création (…) réside bien dans l’acte et non dans sa contemplation », mais comment ignorer des ouvrages qui atteignent une huitième réédition ? Logiquement, on découvre avec les deux premiers tomes Dallas Cowboy et Presque cette manière de raconter sa vie, de dire « Je », une narration que Larcenet décrit parfois comme narcissique et surtout « prétentieuse ».
Paradoxe ou pied de nez ? On trouve déjà dans ces volumes, à travers les souvenirs d’un service militaire détesté et dramatique, la manière d’évoquer les difficultés à vivre, quand le sommeil est peuplé de cauchemars. Encore plus explicite, « On fera avec » inaugure l’énoncé sous forme, souvent d’aphorismes, des états d’âme de l’auteur. Petit bonhomme au gros nez, histoires sous formes de trips, annoncent le futur Microcosmes. À la manière de Fables de la Fontaine, Larcenet énonce des morales qui lui sont propres, mais qui renvoient tellement à notre condition humaine. Tout l’auteur est dans cet album, y compris le dessin en noirceur, cette manière d’utiliser ce qui semble être une tache d’encre comme esquisse d’un état d’âme ou de réduire la silhouette humaine à un petit insecte ridicule, agité et ridicule.
Même format à l’italienne pour L’Artiste de la famille édité en 2001, qui renvoie aux doutes de l’artiste sur sa condition professionnelle, sur ses livres, sur la création. Enfin Ex-Abrupto, premier ouvrage à la pagination imposante, raconte une histoire toujours autobiographique, camouflée derrière le dessin de deux animaux, un cochon et un oiseau. Sans paroles, offrant des lectures multiples, des sens cachés, cette BD est un puits sans fond, laissant le lecteur face à son interprétation personnelle, en l’absence totale de dialogues.
Rétrospective, premières oeuvres, avec son humour caustique Larcenet doit penser que cela commence à sentir le roussi, et dans les textes ajoutés postérieurement aux albums d’origine, il n’arrête pas de s’interroger sur l’intérêt de telles publications. Il apporte pourtant lui-même une réponse à cette interrogation : « Eh bien vous aussi, vous redouterez la mort ! Et pas seulement celle de vos proches de votre propre carcasse ! celle de vos livres, tout aussi bien ! Fussent-ils médiocres ! ». On peut rassurer Larcenet, ces livres, même imparfaits, ne sont pas médiocres et on peut lui souhaiter de produire longtemps encore de nombreuses BD, interrogatrices de sa vie, mais aussi des nôtres. Comme une thérapie grand public.
Coffret 78140 Vélizy tiré à 1000 exemplaires, parution 27 novembre 2020, Édition Les Rêveurs, 55€.
Le coffret regroupe les cinq premières bandes dessinées autobiographiques en noir et blanc – 580 pages – réalisées par l’auteur entre 1997 et 2005 : Dallas Cowboy, Presque, On fera avec, L’artiste de la famille, Ex-Abrupto avec un prologue, une couverture inédite et de nouvelles planches. Le coffret est accompagné d’un poster (58 cm * 81cm). Ces récits autobiographiques ont tous été dessinés – sauf Ex Abrupto – à Velizy, en banlieue parisienne, ville qui donne le titre du coffret.
À noter que le tome 2 de Thérapie de groupe sort le 22 janvier chez Dargaud.