Rennes. Hiboux, Les Trois Points de suspension convoque la mort aux Ateliers du Vent

HIBOUX Trois Points de suspension
HIBOUX, Trois Points de suspension © Vincent Muteau

Les Tombées de la nuit présentent la création Hiboux de la compagnie Les Trois Points de suspension aux Ateliers du vent, dimanche 29 octobre 2023. Dans le cadre de La Vilaine Frayeur du 27 au 31 octobre, trois musiciens/comédiens se penchent avec tendresse et légèreté sur nos rapports aux disparus. Le public est invité à entrer en contact avec un monde où vivants et morts bricolent pour mieux vivre ensemble. Si la représentation à Rennes est complète, il reste des places pour samedi 28 à L’Odyssée, espace culturel de Dol-de-Bretagne (50 minutes de Rennes).

Genre : Tutoriel théâtral pour réussir sa mort et celles des autres. Tel est le descriptif curieusement singulier de Hiboux, création de la compagnie genevoise Les Trois Points de suspension. Elle sera présentée aux Ateliers du vent à Rennes dimanche 29 octobre 2023, dans le cadre de l’événement La Vilaine Frayeur du 27 au 31 octobre. Entre le fantasme transhumaniste de vaincre la mort, l’injonction au deuil et l’aseptisation médicale de la fin de vie, trois comédiens et musiciens explorent les représentations du deuil de notre culture avec vitalité, tendresse et humour. 

HIBOUX Trois Points de suspension
HIBOUX, Trois Points de suspension © Michel Wiart

À cheval entre la France et la Suisse, le collectif Les Trois points de suspension propose depuis 2003 des spectacles pluridisciplinaires. La direction artistique de la compagnie est dictée par deux grands styles d’esthétique : sortir des lieux culturels en créant des projets in situ et sortir de la festivalisation culturelle. « On est plutôt issus du cirque, mais on a vite lâché nos agrès qu’on trouvait trop limitant. On souhaitait toucher à la fiction », raconte Nicolas Chapoulier, à la tête de la compagnie qui s’est rapidement tourné vers l’espace public. Elle joue autant en salle que dans l’espace public, mais son travail s’intéresse surtout aux strates du réel, celles qui composent des lieux, aux enjeux sociaux, politiques et poétiques. des endroits. « D’année en année, on a voulu travailler sur l’idée de contexte. On aime faire des diagnostics des manières qu’a le territoire de se livrer en mille-feuilles et voir comment inscrire nos fictions à l’intérieur de ses récits. » En 2016, des artistes dissidents de la compagnie créent une organisation parallèle plus fantasque et performative, 3615 Dakota. Mais les deux structures sont sur le point de fusionner pour ne faire qu’une, réunissant ainsi les deux univers plutôt que de les diviser en deux.

La création Hiboux, en référence au symbole de la mort dans plusieurs civilisations, est née pendant une permanence d’un mois dans un centre d’art à Genève. « On avait sympathisé avec un musicien rencontré en Bretagne qui a passé son diplôme de conseiller funéraire. » Dans la performance, la cie proposait aux personnes de travailler sur leur relation post-mortem avec le fantôme qu’ils allaient devenir, de réfléchir à leur propre cérémonie funéraire et de raconter leurs expériences de cérémonies, parfois réjouissantes, d’autres fois ratées. La matière a été telle qu’un spectacle a été imaginé. « On s’est rendu compte qu’à chaque fois qu’on abordait le sujet, on avait l’impression d’entrer dans une sorte de tabou. On a été surpris de voir à quel point les personnes avaient envie de mettre le sujet sur la table », se rappelle le metteur en scène de Hiboux. « Les personnes entraient immédiatement dans une forme d’intimité extraordinaire et des qualités de discussion complètement folles. »

HIBOUX Trois Points de suspension
HIBOUX, Trois Points de suspension © Vincent Muteau

Les travaux de la philosophe Vinciane Despret et son approche intéressante de la mort s’est révélé la principale source d’inspiration de la compagnie. « Vinciane Despret part de l’injonction au travail du deuil posée par la psychanalyse, freudienne particulièrement, pour critiquer cette manière qu’elle a de demander aux fantômes de disparaître », nous apprend-il. « Elle parle des bricolages dont les morts et les vivants ont besoin pour communiquer entre eux. » Elle interroge dans son travail les dispositifs et les communications qu’il peut y avoir entre les morts et les vivants, autant dans la religion que dans le spiritisme par exemple.

À l’injonction du “c’est mieux dans d’autres cultures”, Les Trois Points de suspension se sont intéressés à la manière que notre culture a d’approcher la mort en testant « des expériences assez folles dans différents types de lieux », se souvient Nicolas Chapoulier avant de citer une séance de spiritisme à Lyon. Le but étant de créer des décollages symboliques autour de ces questions. « Avec la disparition du religieux, des croyances, on a un peu perdu le mode d’emploi. » 

HIBOUX, Trois Points de suspension © Vincent Muteau

Installé en cercle, entre agora et cercle rituels, le public assiste dans une ambiance intimiste à la convocation de la thématique de la mort (et de fantômes) par trois comédiens et musiciens talentueux, Jérôme Colloud, Renaud Vincent, Cédric Cambon. « On a choisi de ne pas mettre de distanciation entre nous et le public », précise-t-il. « C’est un moment passé ensemble où l’on peut se regarder les uns et les autres, en ayant tous la même place sur un sujet qui nous concerne tous. » 

Et c’est en pratiquant la propre cérémonie funéraire d’un ou d’une volontaire dans le public que Les Trois Points de suspension ouvre frontalement la porte d’entrée de Hiboux. « C’est aussi le bon plan pour avoir des conseils gratuits pour réussir ses prochaines cérémonies funéraires », s’amuse Nicolas Chapoulier. Pendant deux heures, les comédiens plongent l’assemblée dans l’exploration de la mort et nos représentations du deuil en abordant de nombreux thèmes : transhumanisme, l’administratif, le spiritisme, etc. « Il y a la question du théâtre et du jeu, de qu’est-ce qu’on interprète, comment on est interprété et comment on est possédé », dans des aller-retour entre jeu théâtral et interaction avec le public. « Dans les grandes thématiques qu’on aborde, il y a comment faire du rite aujourd’hui. Faire du rite, c’est aller chercher des éléments symboliques connus de tous et toutes pour faire commun. » Les Trois Points de suspension a voulu parler de la mort, mais c’est au final la vie qui fait irruption dans Hiboux.

Les trois personnes au plateau sont centrales dans la direction que prend la création, mais les réactions du public peuvent changer la nature du spectacle. « Le spectacle a une trame bien écrite, une forme construite dramatiquement, mais il y a toujours une marge d’improvisation. »

Hiboux est également nourri d’une création musicale composée par Renaud Vincent et Jérôme Coulloud. Celle-ci changera de registre tout au long du spectacle. Une manière d’approcher la musique spécifique au spectacle. « Le son est utilisé de différentes manières dans ce spectacle, parce qu’on s’est rendu compte que, dans le funéraire, la musique possède différents types de fonction » : recueillement, symbolique, mais aussi moyen d’entrer en transe. Chacune des utilisations musicales fait écho à l’emploi de la musique dans le milieu funéraire et à la manière dont on célèbre la personne. 

Où sont passés nos fantômes ? Dans les limbes de La Divine comédie de Dante ou dans le scroll d’un profil Facebook ? Messe contemporaine, Hiboux ne donne pas les réponses, mais ouvre le dialogue.

La Vilaine Frayeur — Les Ateliers du Vent, 59 rue Alexandre Duval
Réservations conseillées, renseignements et billetterie en ligne sur lesateliersduvent.org ou sur place 30 minutes avant le début des spectacles.

À l’heure de la publication de l’article, la représentation à Rennes est malheureusement complète, mais il reste des places samedi 28 à 18h30 à L’Odyssée, espace culturel de Dol-de-Bretagne (à 50mn au nord de Rennes). Trois Points de suspension reviendra à Rennes avec présenter leur nouvelle création en 2024.

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