Contrecoup de la période de crise sanitaire ou tout simplement manifestation printanière, il n’y a jamais eu autant de parutions de romans en dehors des périodes de rentrée littéraire. Et c’est tant mieux si les plus grands écrivains n’attendent pas la course aux prix pour publier leurs nouveaux romans. Le mois de mai avec l’éclosion de fleurs et le rallongement des journées nous réserve de bien belles lectures.
Dans le rayon littérature française vous trouverez en mai de grandes auteurs incontournables comme Annie Ernaux, Sylvie Germain ou Irène Frain (L’allégresse de la femme solitaire, Seuil, 20 mai 2022).
Avec une oeuvre considérable qui a inspiré de nombreux romanciers, Annie Ernaux explore l’intime pour ouvrir une réflexion universelle. Avec son court roman, Le jeune homme (Gallimard, 5 mai 2022), elle nous parle d’un couple d’amoureux que trente ans séparent. Elle est romancière et vit ses derniers instants de jeunesse. Il est étudiant, avide d’aventures érotiques. Il voudrait un enfant mais elle sait qu’ils n’ont pas d’avenir. Et pourtant, ils s’aiment. (Feuilleter)
Autre femme, autre grande écrivaine et philosophe, Sylvie Germain observe le monde et s’inspire de faits divers pour dénoncer le mal grandissant en lui donnant souvent une dimension onirique. Sylvain, le héros de La puissance des ombres (Albin Michel, 2 mai 2022) est rongé par le mal depuis l’enfance. Un mal qui le poussera au crime.
La nouvelle vague s’impose aussi dans les rayons de nouveautés littéraires. Olivia Ruiz a séduit le public avec son premier roman La commode aux tiroirs de couleur (JC Lattès, 2020). Elle revient avec Écoute la pluie tomber (JC Lattès, 11 mai 2022). D’une hacienda près de Tolède à la prison madrilène de Ventas où le franquisme fait rage, en passant par un paquebot transatlantique, Olivia Ruiz nous embarque dans les tourments d’une histoire qui s’entremêle à la grande, où l’amour triomphe de la violence. (Feuilleter)
Citons rapidement le nouveau roman d’Isabelle Carré, Le jeu des si (Grasset, 18 mai 2022, lire un extrait) qui dessine un portrait de femme sous un vertigineux jeu de miroir. Et celui d’Amanda Sthers, Le café suspendu (Grasset, 4 mai 2022, lire un extrait) qui, sous le regard de Jacques, un Français installé à Naples suite à une déception amoureuse, propose des portraits intimes d’habitués des lieux et campe l’atmosphère unique napolitaine.
Un peu moins connue du grand public, son univers mérite le détour. Élodie Llorca publie son troisième roman, Invasions domestiques (Rivages, 4 mai 2022). L’auteure excelle à camper des personnages énigmatiques et originaux coincés dans leurs mondes intimes. Thomas, parisien solitaire, découvre Joël, son plombier, endormi sur son canapé. De cette rencontre improbable naît une belle amitié. Thomas confie alors à son ami sa passion pour le collage, inspirée par son amour pour sa collègue Kim-Ly. Joël pousse son ami à exposer ses œuvres et à tenter sa chance auprès de la jeune femme. Mais Thomas vient bien vite à douter des intentions de son nouvel ami. Un roman tendre et loufoque.
Je termine avec une touche masculine pour vous signaler le nouveau roman de Didier Van Cauwelaert, Une vraie mère…ou presque (Albin Michel, 2 mai 2022). Un roman drôle et émouvant dans lequel le narrateur engage une actrice pour jouer sa mère décédée et convoquée pour un stage de récupération de points. De catastrophes en élans fusionnels, cette opération le met face aux conflits du passé.
Vous ne manquerez pas de choix non plus dans les rayons de littérature étrangère. Je commence par le second opus de Terra Alta de Javier Cercas que bon nombre d’entre vous attendaient peut-être avec impatience. Nous retrouvons Melchor dans Indépendance (Actes Sud, 11 mai 2022, traduit par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, lire un extrait) en proie avec la bourgeoisie catalane. L’inspecteur a quitté sa terre de Terra Alta pour prêter main forte aux services de police de Barcelone. L’indéfectible intégrité de Melchor est mise à rude épreuve au contact des rouages du pouvoir, là où règnent le cynisme, l’ambition décomplexée et l’arrogance des nantis.
Continuons avec la littérature espagnole et Sara Mesa, auteure récompensée par les plus prestigieux prix littéraires espagnols pour sa poésie et ses œuvres de fiction. Un amour (Grasset, 4 mai 2022, traduit par Delphine Valentin) est son troisième roman traduit en français. Natalia, traductrice citadine a décidé de s’isoler dans un petit village pour s’adonner à un projet littéraire et fuir certains fantômes du passé. Mais la vie n’est pas si calme, notamment à cause des relations difficiles avec son propriétaire et des bizarreries des habitants du village. Un accident causé par son chien va mettre le feu aux poudres. Un amour est un roman sur la ruralité et le fantasme d’une vie au calme, un roman sur le doute et les chemins de vie qu’il suscite. (Lire un extrait)
Si vous cherchez une belle histoire et une grande héroïne, lisez Duchess (Sonatine, 5 mai 2022, traduit par Julie Sibony). Chris Whitaker suit le parcours d’une jeune fille de treize ans, orpheline de père. Flanquée d’une mère à la dérive, elle s’occupe de son petit frère. Lorsque celui qui a causé la perte de sa mère sort de prison, elle va devoir affronter le pire pour protéger les siens.
Je termine avec deux figures incontournables de la littérature étrangère. L’une est américaine et l’autre japonaise.
Marilynne Robinson a reçu en 2012 la National Humanities Medal, décernée par le président Barack Obama, pour « la grâce et l’intelligence à l’œuvre dans son écriture » . L’amour peut-il sauver un homme de la perdition ? Voici le thème de son nouveau roman, Jack (Actes Sud, 4 mai 2022, traduit par Simon Baril). Nous sommes dans le Missouri après la Seconde Guerre mondiale. Jack Boughton, un Blanc fort instruit, sorti de prison pour un acte qu’il n’avait pas commis, vivote sans aucune ressource. À la bibliothèque où il aime lire de la poésie, il rencontre Della Miles, professeure d’anglais noire, et fille de pasteur comme lui. C’est une histoire d’amour et de survie entre deux cœurs purs, deux postures morales dans une ville marquée par la ségrégation. Un roman d’une grande beauté avec un personnage bouleversant.
Aki Shimazaki construit une œuvre phénoménale avec la parution de pentalogies depuis 1999. No-no-Yuri (Actes sud, 4 mai 2022) est le troisième volet de son nouveau cycle romanesque entamé avec Suzuran (2020) et Semi (2021). Originaire d’une petite ville de la région du San’in, Kyôko est une femme célibataire d’une grande beauté. Elle change perpétuellement d’amants, qu’elle choisit beau et marié. Seul son travail dans un groupe de cosmétique compte à ses yeux. Le départ de son patron et l’arrivée de son remplaçant va bousculer ses certitudes.
Côté romans noirs, les plus grands noms envahissent aussi les rayons. Franck Thilliez part d’une scène de crime atroce dans un chalet et une suspecte sur place atteinte d’amnésie. Suivez le fil des Labyrinthes (Fleuve noir, 5 mai 2022) avec l’enquêtrice Camille aidée d’un psychiatre qui lui conte une histoire incroyable.
Peter May propose une nouvelle enquête de Enzo MacLeod. À Carennac, on vient de découvrir le squelette d’un officier de la Luftwaffe. En s’y rendant, Enzo est confronté au meurtre d’un marchand d’art. En acceptant de collaborer à l’enquête, il va faire un bond dans le temps, jusqu’aux jours maudits de l’Occupation, lorsque les trésors du Louvre furent évacués vers le Sud de la France.
Nouvelle trilogie pour Don Winslow qui commence par La cité des flammes (Harper Collins, 4 mai 2022, traduit par Jean Esch, lire un extrait), une Iliade contemporaine avec la ville de Providence semblable à Troie incendiée par les Grecs et Danny Ryan en héros homérique digne d’Énée.
Et je termine avec James Ellroy et son Panique générale (Payot-Rivages, mai 2022, traduit par Sophie Aslanides). Après Extorsion (Rivages, 2014), James Ellroy raconte la suite des confessions de l’abominable Freddy Otash, maître chanteur, voyeur et proxénète, un concentré d’humour noir inspiré par la vie du véritable flic véreux de Los Angeles.
Nous approchons des périodes de vacances et certains lecteurs préfèrent le format poche plus facile à glisser dans la valise. Là aussi il y a quelques pépites à rattraper.
Héritage (Rivages poche, 4 mai 2022) est une fable imprégnée d’onirisme latino-américain du franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy. Une saga familiale sur quatre générations initiée par l’exil d’un vigneron du Jura, une épopée picaresque entre deux continents.
Avec Chavirer (Babel, mai 2022), Lola Lafon enquête sur le destin de Cléo, une jeune lycéenne qui rêvait d’être danseuse, entraînée dans une Fondation qui lui promettait monts et merveilles. Avec une justesse bouleversante, l’auteure montre comment des personnages malsains profitent de la candeur de collégiennes qui ne pensent qu’à leurs rêves.
Et comme le mois de mai est aussi le mois de la fête des mères, je vous propose ce très bel album de Benjamin Lacombe et Sébastien Perez. La meilleure maman du monde (Margot Editions, 4 mai 2022). Il existe mille et une façons d’être mère. Vous découvrirez à travers ces tendres portraits de mamans du monde animal qui est donc la meilleure maman du monde.