ANGERS, quartier de la gare. Il est midi passé. Une femme d’une cinquantaine d’années s’apprête à remonter dans sa voiture lorsqu’un homme au fort accent britannique l’aborde, visiblement paniqué. Chemise froissée, sac à dos au pied, il désigne son téléphone éteint. « Excuse me, madam… my family is stuck. No more money, no phone… can you help me, please? »
La scène paraît presque banale dans une ville touristique. Mais cette fois, ce n’est pas une vraie détresse : c’est une arnaque rodée, dite “à l’irlandaise”, qui refait surface dans les rues d’Angers. Depuis plusieurs semaines, la police du Maine-et-Loire a reçu plusieurs signalements. La méthode n’est pas nouvelle, mais elle gagne en précision. Et en victimes.
Une mise en scène millimétrée
« Ils sont bons comédiens, très convaincants », explique un agent du commissariat central. « Ils se présentent comme des touristes en galère, souvent avec des enfants ou une femme pour renforcer la crédibilité. Ils pleurent, s’agenouillent parfois. Ils demandent un peu d’argent, parfois jusqu’à 900 €, avec la promesse d’un virement dans l’heure. »
Sur les parkings de supermarchés, les ronds-points, à la sortie du périphérique ou même à proximité des hôtels Ibis ou Campanile, des binômes tournent en quête de naïveté bienveillante. Les escrocs parlent un anglais parfait, arborent parfois un drapeau irlandais sur leur voiture immatriculée à l’étranger — souvent louée. « Ils agissent toujours très vite, profitent d’un moment d’hésitation ou de générosité », poursuit le policier.
Des victimes qui ne portent pas toujours plainte
Marc, 42 ans, en a fait les frais le week-end dernier, sur le parking du centre commercial Saint-Serge. « Ils avaient deux enfants avec eux. J’ai eu un doute, mais j’ai donné 200 euros. Ils m’ont même laissé une carte de visite, avec un numéro de compte bancaire. Le virement n’est jamais arrivé. » Marc n’a pas osé porter plainte, « honteux » d’avoir été dupé. Il n’est pas le seul. « C’est exactement ce que cherchent ces individus, explique une psychologue du service d’aide aux victimes. Ils jouent sur l’émotion, la peur de l’indifférence. Et quand la supercherie éclate, la victime se sent idiote. Elle préfère oublier plutôt que de témoigner. »
Un phénomène national et cyclique
Ce type d’arnaque n’est pas propre à Angers. Déjà repérée à Toulouse, Lyon ou sur les aires d’autoroute entre Narbonne et Lyon, l’arnaque à l’irlandaise a refait surface chaque été depuis une dizaine d’années. « Ce sont souvent les mêmes réseaux, explique un officier de la BRI. Des escrocs itinérants, parfois de nationalité irlandaise ou britannique, qui opèrent sur plusieurs pays d’Europe, et rentrent au bercail une fois la saison achevée. »
Des réseaux structurés, difficilement interpellables
À Lyon, en mai 2025, deux suspects ont été arrêtés en flagrant délit. Ils possédaient plusieurs milliers d’euros en liquide, des dizaines de reçus manuscrits signés de victimes et… des cartes d’identité falsifiées. « Leur véhicule change de plaques régulièrement. Ils sont très mobiles. Une fois repérés dans une ville, ils disparaissent. On dirait des fantômes », soupire un policier.
La police appelle à la vigilance
Le parquet d’Angers invite les victimes à ne pas rester silencieuses. Une campagne d’affichage est en cours dans les parkings et stations-services du département. Elle rappelle : « Ne donnez jamais d’argent liquide à un inconnu. Même avec des enfants. Même s’il parle bien. Appelez la police. »
La police appelle également les citoyens à faire preuve de prudence, sans basculer dans la paranoïa. « La compassion ne doit pas devenir une faiblesse. Si quelqu’un est vraiment en détresse, il accepte qu’on appelle les secours. Les escrocs, eux, refusent toujours. »
Au-delà de l’arnaque : un miroir social
Derrière cette escroquerie, une mécanique subtile : celle qui fait appel à nos élans d’humanité dans un monde dur et désincarné. Ces faussaires de la misère instrumentalisent ce qui reste de solidarité spontanée. Et forcent chacun, à chaque interaction, à se demander : est-ce que j’aide ou est-ce que je me fais avoir ?
À Angers, cet été, nombreux sont ceux qui ont préféré aider. Et certains, malheureusement, qui s’en mordent encore les doigts.
Pour toute suspicion d’arnaque, contactez le 17 ou signalez l’incident sur https://www.service-public.fr.
