Des bandes dessinées sous le sapin, la reco Noël d’Unidivers

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noel pere uniidivers

Avec plus de 7 000 titres annuels, la BD souffre d’une surproduction qui conduit les médias à ne mettre en exergue que quelques titres. Unidivers, en toute subjectivité, vous propose quelques-uns de ses coups de cœur avec un seul impératif : une belle diversité (qui nous fait voyager).

Impossible de ne pas commencer cette sélection avec une BD majeure : Rébétissa de David Prudhomme (1), version féminine de Rébétiko, BD parue quinze ans auparavant, qui avait placé l’auteur au plus haut. Le trait unique et majestueux de l’auteur poursuit la belle histoire d’amitié entre Markos, Bàtis, Stravos et Artémis, musiciens exceptionnels, qui vont reprendre avec Béba, la sublime chanteuse, le Rébétiko, ce blues portugais interdit par le régime dictatorial de ces années trente. Un album où la couleur sublime le récit : « Les tonalités brunes et ocres, majoritaires, disent la nuit, l’intérieur, les bars où se joue le Rébétiko, ce blues grec, musique rebelle aux pouvoirs en place. Plus rare est le bleu, celui du ciel de ce Portugal des années trente assommé par la dictature (…) ». Chef-d’œuvre avions-nous écrit, chef-d’œuvre écrivons-nous toujours.

Restons dans le passé nostalgique avec Un père (2) de Jean-Louis Tripp. L’auteur du Sud-Ouest, abandonnant la fiction pour l’autobiographie, avait raconté l’histoire de sa sexualité (Extases, voir notre chronique) puis, dans un ouvrage poignant, la mort de son frère (Le petit frère, voir notre chronique). Avec ce quatrième ouvrage, il nous dit son enfance et son adolescence, à hauteur de gamin, en concentrant son attention sur l’image de son père, à la fois inconséquent et inspirant. Tripp nous dit une époque où la mère est absente des souvenirs, trop investie dans le métier et le fonctionnement matériel de la famille. Une période marquée par la guerre froide et des idéologies qui envahissent l’espace, quand le communisme fait encore rêver. Il raconte aussi, avec ce qui fait la force de l’auteur, l’intime, en évitant de tomber dans le pathos ou l’anecdote. C’est juste. C’est poignant. C’est drôle. C’est Tripp.

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Puisque nous sommes dans l’évocation de l’enfance, osons un pas de côté avec un ouvrage jeunesse, qui comme souvent s’adresse à toutes et tous : Seul le chêne (3). Le ton est celui du conte contemporain : Beau Chêne, arbre majestueux et ancestral, traversant les siècles, vit seul, fier, orgueilleux, refusant la vie communautaire de la forêt. Mais l’âge venant, le réchauffement climatique s’intensifiant, la solitude devient synonyme de faiblesse. Nous vous laissons deviner la morale de cette histoire, racontée avec une économie de mots justes par Amandine Laprun et dessinée superbement par son compagnon, Frédéric Rébéna.

seul le chene

Autre BD métaphorique et politique, Watership Down (4), édité par Monsieur Toussaint Louverture. Bénéficiant chez cet éditeur d’une habituelle fabrication soignée, ce roman graphique est l’adaptation du récit éponyme de Richard Adams, écrit dans les années 70, véritable succès littéraire mondial. Il fallait une sacrée dose d’inconscience pour dessiner, sur plus de 360 pages, des lapins et (presque) rien d’autre que des lapins. Pourtant, ce texte qui raconte les aventures d’un groupe de lièvres en route pour fonder une nouvelle garenne nous tient en haleine. À la fois thriller, réflexion politique et récit d’aventures, il offre de multiples niveaux de lecture sans sombrer dans un facile anthropomorphisme et est accessible dès l’âge de 12 ans.

watership down

Autre style, autre récit avec L’or du spectre (5), polar-western. Quatre hommes et une femme, amis, amants, complices ou traîtres, recherchent un trésor enterré quelque part dans une ville de Far West abandonnée, du côté du Montana ou du Nouveau-Mexique, des territoires pas spécialement reconnus pour leur hospitalité et leurs richesses touristiques dans les années soixante-dix. Cynique à souhait, totalement immoral, ce thriller échevelé, porté par un dessin aussi agité, vous fera douter de votre meilleur ami(e) et même de votre conjoint(e).

Restons aux États-Unis avec un western plus conventionnel, Billy Lavigne (6). Même si Anthony Pastor donne un sacré coup de modernité au genre, le dessinateur mêle habilement les scènes de violence de la conquête de l’Ouest avec l’introspection de personnages en quête d’identité, loin des images traditionnelles d’hommes virils et sans état d’âme. Le monde manichéen du western se transforme ici en univers ambigu. Un ouvrage différent.

Autre format, autre procédé narratif, avec Les jardins invisibles d’Alfred (7). Nous sommes cette fois-ci dans le domaine de l’intime, de l’introspection. Alfred collectionne depuis l’enfance des petits riens. Ces petits riens, porteurs d’imaginaire, marqueurs du temps qui passe. En grandissant, ces objets ont pris la forme de dessins, de croquis, de saynètes pour ne pas oublier l’essentiel de la vie. « Si je dessine, je ne disparais pas », écrit Alfred dans sa préface. Depuis l’âge de deux ans, il arpente l’existence avec ses carnets, ses crayons, prêts à saisir les moments les plus insignifiants en apparence. Ce livre est comme ces carnets que l’on met dans sa poche pour ne pas oublier, pour noter le moment nécessaire. Une merveille de douceur et de tendresse.

Un roman graphique tendance manga cette fois-ci.  Le Nirvana est ici (8) figurait dans la dernière sélection du Prix de Quai des Bulles. Dans des pages sombres, ça cogne, ça laisse peu de répit et le dessin noir et blanc est parfaitement adapté à ce polar social qui dénonce le trafic d’êtres humains. Des jeunes de l’ex-RDA, mêlés par hasard à cette histoire qui débute sur un parking de supermarché, vont tenter de briser ce commerce inique. Une BD qui n’est pas passée inaperçue lors de sa parution, mais qui aurait mérité un meilleur sort avec une promotion plus en rapport avec ses qualités.

bd le nirvana est ici

Un OVNI pour terminer avec cette BD hors normes, tant dans la forme que dans le fond : Detroit Roma (9) ne ressemble à rien d’autre, et c’est un compliment pour cet ouvrage imposant. Pourtant, la thématique de départ est conventionnelle : deux filles adolescentes décident de partir en voiture vers le Sud des États-Unis, copies de Thelma et Louise. Seulement, le traitement graphique multiforme et iconoclaste brise les codes du genre et incite à une lecture minutieuse, lente et innovante. Une BD qui ne peut laisser indifférent. Et qui en envoie plein les yeux.

Bonnes lectures. Et beaux cadeaux à offrir. Ou à s’offrir.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.