Avec pudeur et tendresse Richard Malka et Fred Bernard mettent en images le témoignage écrit de Robert Badinter pour sa grand-mère juive, Idiss. Avec justesse et tendresse.
C’est une histoire difficile, qui rejoint le destin de milliers de juifs persécutés au début du XXe siècle dans l’Europe de l’Est avant d’être pourchassés puis exterminés par le régime nazi, mais Idiss reste pourtant une BD lumineuse, empreinte d’humanité et d’optimisme. « Les couleurs du passé revêtent l’éclat des beaux jours » écrit Robert Badinter sur le bandeau de l’album. Ainsi peut-on résumer cette adaptation du récit de l’ancien garde des Sceaux consacré à sa grand-mère qui avait obtenu lors de sa parution un grand succès de librairie (plus de 200 000 exemplaires).
Le contraste est saisissant entre les pages magnifiquement colorées, empreintes de tendresse et de luminosité et l’histoire d’Idiss, qui personnifie par sa vie l’une des plus grandes tragédies du siècle dernier. Idiss est juive, née dans la Bessarabie tsariste, dans ce qu’on appelle le Yiddishland, un monde aujourd’hui disparu. Elle survit chez ses beaux-parents, avec ses deux garçons et bientôt sa fille Chifra, mariée à Schulim, un homme bon qui revient de la guerre, mais est possédé par le démon du jeu.
Les pogroms se multiplient, la misère est omniprésente, l’antisémitisme est partout. En 1912, La France, son mari et ses enfants déjà émigrés, l’accueillent comme des milliers d’autres réfugiés d’Europe centrale. Idiss, émerveillée par la République, la prospérité va y trouver la paix, la joie de vivre et une vie familiale épanouie.
C’est le temps du bonheur, partagé lors de pique-niques, avant d’être rattrapé par l’arrivée au pouvoir en Allemagne d’un modeste peintre du dimanche. Le monde s’assombrit, mais Fred Bernard ne plonge pas sa palette de couleurs dans le noir pour autant. Idriss, même dans les difficultés les plus rudes, reste lumineuse et sa personne éclaire encore les pages les plus tristes. « J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils », écrit Robert Badinter.
Le scénario limpide de Richard Malka met au premier plan cet amour d’un petit-fils pour sa grand-mère en respectant le texte d’origine. Idiss incarne l’une des plus grandes tragédies de l’Histoire, mais l’amour qu’elle prodigue aux siens, l’amour qu’elle voue à ce pays qui l’a accueilli atténue la violence de l’Histoire. Aimer, protéger, entourer, inciter, « il n’y a jamais d’excuse à ne pas exceller », sont des valeurs qui explosent au fil des planches et semblent finalement supérieures aux forces de l’obscurité et de la haine. Idiss est vainqueur et emmène avec elle toute sa famille, même meurtrie, même disséminée. « Quand tu auras mon âge » déclare Idiss à la fin de sa vie à sa belle-fille Marguerite, « tu sauras que les vieillards ne vivent que par l’amour de leurs petits-enfants… Les voir, les toucher, c’était ma source de vie ». Le témoignage tendre et respectueux de son petit-fils Robert démontre qu’elle aussi était une source de vie pour les êtres qui avaient la chance de l’entourer.
Idiss de Richard Malka (scénario) et Fred Bernard (dessins et couleurs). Adapté du livre de Robert Badinter publié aux éditions Fayard. Éditions Rue de Sèvres. 120 pages. 20€. Parution 31 mars 2021.
À lire également, la chronique de Jacques Brélivet sur Idiss de Robert Badinter.