BD. Il était Dustin avant de devenir Weekly de Blacksad

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Avec cette préquelle, Canales et Rigano, nous invitent à découvrir les débuts de l’acolyte préféré d’un détective nommé Blacksad. Une jolie réussite.

Dustin Kalinowszczyzna . Cela ne vous dit rien ? Comment cela ? Un personnage avec un nom facile à retenir comme celui ci ne s’oublie pas facilement. Vous avez obligatoirement vu sa silhouette de fouine, casquette sur la tête, appareil-photo autour du cou, arpentée les rues de New-York. Ah oui, j’oubliais. Il est le compagnon d’aventures d’un détective à l’imperméable couleur mastic, qui répond au non de Blacksad. Ça y’est ? Vous voyez ? Ah oui, j’oubliais (bis) ! Il répond plus fréquemment au nom de Weekly. Heureux second rôle d’une star, il devait rapidement avoir un ouvrage pour lui tout seul. En effet, les séries à succès de bandes dessinées à la manière des produits dérivés, génèrent très souvent des ouvrages annexes à ceux des personnages principaux : jeunesse du héros, découverte approfondie des seconds rôles notamment. L’exemple exacerbé est celui de la série XIII dont on peine à connaître le nombre total d’albums.

Depuis un quart de siècle, Blacksad, le chat détective né du stylo de Juan Diaz Canales et du pinceau de Juanjo Guarnido, avec plus de deux millions et demi d’exemplaires vendus, ne pouvait échapper à l’élargissement de son histoire. C’est donc le compagnon d’enquête, apparu dès le tome 2 dans Artic-Nation, qui ouvre le bal. Il faut dire qu’il a tout pour susciter les interrogations ce personnage énervé, curieux et souvent mal élevé. On le qualifie même parfois de « fouille-merde », un qualificatif ambivalent qui révèle son tempérament peu scrupuleux, mais bien utile dans des enquêtes « borderlines ».

Vous vous en doutez avec un patronyme pareil, Weekly est d’origine russe, même si son nom est celui d’un quartier de la ville polonaise de Lublin. Il vit chez sa grand-mère, intégriste religieuse, qui voit le Diable, en l’occurrence le Cosaque, partout dans ce New-York de l’immédiat après-guerre. Mauvais élève, pas une réelle surprise, il aime la photographie et veut travailler dans la presse. Sa maladresse, sa duplicité, ses mensonges vont le conduire à être, un peu malgré lui, mêlé à une enquête policière noire, dans la droite ligne des polars de la série mère. Le scénario est un peu alambiqué, et il faut quelques pages pour mettre toutes les informations en perspective et situer les personnages.

Une fois le décor installé, on retrouve alors les caractéristiques des enquêtes de Blacksad, notamment une description et une critique à peine voilée d’une Amérique éloignée de l’image fantasmée proposée au monde entier. Y sont épinglés, l’extrême religiosité, le cynisme, l’appât du gain, la censure faussement moralisatrice qui conduit à interdire des bandes dessinées, et même à les brûler sur la place publique. Comme un écho à l’actualité même si le scénario fait référence à la Comics Code Authority, cet organisme chargé à partir du milieu des années 1950, de réguler le contenu des Comic books. Il faut la gouaille de Weekly pour éclairer cette atmosphère sombre et un peu désespérée.

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C’est l’Italien Giovanni Rigano qui prend la place de Juanjo Guarnido au dessin. Bien entendu le style du nouveau créateur s’apparente à son prédécesseur dans une logique narrative obligatoire. L’obscurité ambiante comme celle des âmes est omniprésente et la tonalité de l’album est grise, brune, ocre. Les seules pages lumineuses sont celles éclairées par les flammes des autodafés. On retrouve avec plaisir le soin apporté aux décors, et à ces personnages animaliers dont les silhouettes anthropomorphiques ont contribué au succès de la série. La grand mère de Weekly, dans son exubérance religieuse et ses fantasmes, apporte le grain de folie nécessaire et explique en partie probablement le regard juvénile décalé de Weekly sur le monde environnant.

Rigano s’est intégré parfaitement à l’univers de Guarnido. Une dernière preuve : observez bien la couverture. Notre fouine vient de croiser un chat à l’imperméable mastic. L’épaule à peine éclairée, ce dernier nous tourne le dos. Un rendez-vous manqué pour cette fois-ci. Mais cela ne saurait tarder. Dustin Kalinowszczyzna va bientôt faire connaissance avec Blacksad. Pour le plaisir de millions de lecteurs.

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Blacksad Stories : Weekly. Scénario : Juan Diaz Canales. Dessin : Giovanni Rigano. D’après la création graphique de Juanjo Guarnido. Éditions Dargaud. 64 pages. 17,95€. Parution : 31 octobre 2025. Lire un extrait

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.