Les Bretonnes artisanes du mouvement culturel breton : depuis deux siècles, de nombreux intellectuels ou collecteurs ont travaillé à mettre en valeur la culture bretonne. Ces derniers ont compté sur l’aide, le travail et la mémoire de femmes, oubliées ou célèbres. Main dans la main, ils ont créé ce que l’on appelle aujourd’hui le mouvement culturel breton. Unidivers vous propose un retour sur ces femmes de Bretagne, ces Bretonnes qui ont tant marqué l’histoire et la culture de la Bretagne.
Dès les années 1830, les intellectuels sont captivés par l’histoire de la Bretagne, sa place dans l’histoire nationale ainsi que la langue bretonne. Ce sont les débuts de l’affirmation d’une culture régionale spécifique. En 1839, Théodore Hersart de la Villemarqué publie un ouvrage désormais célèbre : le « Barzaz Breiz ». En effet, ce recueil de gwerzioù, des complaintes en vers à caractère historique, légendaire ou fantastique, connaît une très grande postérité. Si ce travail central dans le mouvement culturel breton a été envisagé et réalisé, c’est grâce à l’influence de deux femmes : celle de la comtesse de La Villemarqué (1776-1847) et celle de Madame de Saint-Prix (1789-1869).
La comtesse Marie-Ursule Feydeau du Plessix-Nizon ou de Vaugien (de son nom de jeune fille) a transmis à son fils Théodore sa passion pour la collecte. Surnommée « la bonne dame de Nizon », la comtesse se plaît à recueillir d’anciennes chansons et complaintes auprès des chanteurs ambulants et autres pauvres gens qu’elle accueille dans son manoir du Plessis, situé dans le Finistère, aux alentours de Pont-Aven (dans la paroisse de Nizon plus précisément). L’aristocrate les note dans des cahiers qu’elle remet ensuite à son fils, éveillant ainsi son intérêt. Théodore, son fils, alias « Barz Nizon », continuera cette collecte en parcourant la Bretagne et publiera en 1839 son « Barzaz Breiz » en 1839. Barzaz, en breton, signifie « bardit, ensemble de poèmes » et Breiz est la Bretagne (dont l’orthographe a changé et qui est devenu Breizh)
Quant à Madame de Saint-Prix, née Émilie-Barbe Guitton, originaire de Callac (dans le département nommé aujourd’hui Côtes-d’Armor). Elle est considérée comme une pionnière dans la collecte des chants bretons qu’elle aurait commencée vers 1820. On dit d’elle qu’elle reste très proche du peuple malgré ses attaches aristocratiques. En effet, née dans le pays de Callac et grâce à un riche mariage, elle se partage entre plusieurs résidences : le manoir de Kerbournet, un hôtel à Morlaix où elle tient table ouverte ainsi que le château de Traonfeunteuniou (qui signifie Val des fontaines) en Ploujean. Elle est initiée par son ami Aymar de Blois de la Calande à la collecte de chants bretons. C’est alors à Morlaix qu’elle va prêter une oreille attentive aux gwerzioù (complaintes) et autres sonioù (chansons) chantés par ses hôtes. Elle ouvre ses cahiers à Théodore et lui permet notamment d’y puiser une version du « Siège de Guingamp » et des fragments de « Merlin barde » pour compléter son ouvrage.
Si longtemps les gwerzioù ont fasciné les lettrés, c’est parce qu’ils sont considérés comme un modèle de la spécificité culturelle de la Bretagne. Les contes de la région, de tradition populaire, ne connaissent pas tout de suite le même succès, car ils ne semblent pas, au premier abord, marquer cette caractéristique bretonne. Parmi les collecteurs célèbres on connaît, entre autres, François Luzel (1821-1895), Anatole Le Braz (1859-1926), Paul Sébillot (1843-1918) ou encore Adolphe Orain (1834-1918). Leurs travaux sont devenus célèbres. Une collectrice a une place à part : Elvire Marie-Louise de Preissac (1818-1899), la comtesse de Cerny que Paul Sébillot surnomme « la doyenne du folklore français ». On doit à cette habitante de Saint-Suliac les « Contes et légendes de Bretagne ». Les auteurs ont la difficile tâche de retranscrire une tradition orale. Ur wech e oa (Il était une fois en breton) ces voix qui nous ont légué les contes et les histoires qui peuplent aujourd’hui l’imaginaire breton…
Ces voix sont parfois anonymes. Paul Sébillot, par exemple, rencontre par hasard la fille du jardinier de son château du Bordage qui lui narre quelques contes. Très vite, il organise des « veillées » ou des femmes viennent lui dicter de petites histoires. Il regroupe ainsi plus de deux cents contes et publie en 1880 son premier recueil de contes populaires de la Haute-Bretagne.
François Luzel est le premier à dresser, en 1869, le portrait d’une de ses principales conteuses : Marguerite Philippe (1837-1909) ou Marc’harid Fulup. Cette étonnante mendiante du pays de Pluzunet, à la main paralysée à cause d’une morsure de porc, exerce dès qu’elle peut le métier de pèlerine par procuration, afin de gagner de quoi vivre. Elle ne sait ni lire ni écrire, pourtant, à elle seule, elle connaît au moins 259 chants et 150 contes. Véritable mémoire vivante pour le collecteur avide et enthousiaste, elle récite des dizaines de milliers de vers et plus d’un millier de pages de prose (rien que ça !)
Adolphe Orain rencontre aussi sa muse en la personne de Marguerite Courtillon. Cette dernière tient, à Bain, une pauvre auberge que fréquentent les vagabonds. Le soir à la veillée, elle recueille dans sa mémoire prodigieuse les chants et les histoires qui remplissent l’atmosphère de son établissement. Sans ces femmes et le travail des folkloristes, c’est tout un pan de la culture bretonne qui serait tombé dans l’oubli.
Les musiciennes du renouveau
Alors que, durant l’entre-deux-guerres, les folkloristes sont décriés, car ils délivrent selon leurs détracteurs une vision surannée et passéiste de la Bretagne, c’est dans les années 1950 que le mouvement culturel breton se renouvelle. On redécouvre avec plaisir les costumes, la danse bretonne, les festoù noz… À partir des années 70, ce sont les musiciens Alan Stivell, Yann-Faňch Kemener, Eric Marchand, Denez Prigent ou encore Annie Ebrel qui renouvellent le genre grâce à de nombreuses influences et enregistrements.
Les premières autorités se trouvent dans la famille. Par exemple les mères et grands-mères de Yann-Faňch Kemener et de Denez Prigent sont les responsables des premières passions des deux jeunes musiciens (et on leur pardonne très vite !)
Les sœurs Goadec font aussi partie des plus grandes inspirations. Ce trio composé de Maryvonne (1900-1983), Eugénie (1909-2003) et Anastasie (1913-1998) est né dans une famille de sacristains. Elles chantent très tôt, deviennent vite célèbres et animent des festoù noz. Elles inspirent particulièrement Alan Stivell qui les accompagne à la harpe sur le chant « Ti Laaziza » qui les a fait connaître à travers le monde.
Marie-Josèphe Bertrand (1886-1970), surnommée « Madame Bertrand » n’est pas en reste. Cette chanteuse traditionnelle bretonne de Canihuel, en Pays Faňch, est elle aussi fille de chanteurs. Elle exerce en parallèle les métiers de sabotière et de guérisseuse. Elle devient célèbre grâce aux enregistrements de Claudine Mazéas et notamment celui de la gwerz Skolvan. Son influence se retrouve chez Eric Marchand ou encore Yann-Faňch Kemener.
Les « musiciennes du renouveau » sont aussi celles qui enregistrent. Claudine Mazéas par exemple, a joué un rôle important dans le renouveau culturel breton de l’après-guerre. Dans les années 1950, elle collecte des chants traditionnels de Bretagne. Par ailleurs, elle reçoit le collier de l’Hermine en 2006 pour souligner son mérite dans son action en faveur de la Bretagne. Ses enregistrements sont utilisés par Denez Prigent et Yann-Faňch Kemener.
Aujourd’hui, ces musiciens de Bretagne sont les récipiendaires d’une tradition léguée et transmise par des femmes. Des voix sorties de l’ombre ont permis de mettre en lumière la culture bretonne. Hommes et femmes renouvellent la tradition, comme l’ambassadrice de la chanson bretonne à l’étranger : Annie Ebrel. Cette dernière interprète des chansons traditionnelles : des kan ha diskan (chants à danser), des gwerzioù, des sonioù… Et les mêle à d’autres répertoires.
Les Bretonnes artisanes du mouvement culturel breton remercie les sources :
Une exposition sur le conte breton ici
– Petite histoire du mouvement culturel breton ici