Le 1er décembre 2025, quatre hypermarchés Carrefour de Bretagne ont été placés en redressement judiciaire. Une situation qui plonge plus de 650 salariés dans une période d’attente et d’inquiétude. À Rennes, le magasin du centre commercial Alma, l’un des plus grands de la région, se retrouve au cœur de la tourmente, tout comme trois autres sites exploités par le groupe finistérien Pont de Bois.
Quatre magasins bretons touchés
Selon les informations transmises par les organisations syndicales, les magasins concernés sont :
- Carrefour Alma, à Rennes (Ille-et-Vilaine)
- Carrefour Plouzané (Finistère)
- Carrefour Saint-Renan (Finistère)
- Carrefour Grâces – Guingamp (Côtes-d’Armor)
Ces quatre hypermarchés sont exploités par le groupe familial Pont de Bois (via différentes sociétés de gestion, dont Almarédis pour Rennes Alma), dans le cadre de contrats de franchise ou de location-gérance avec Carrefour. La décision de redressement judiciaire, prononcée par le tribunal de commerce de Rennes, ouvre une période d’observation de six mois renouvelables, pendant laquelle doit être élaboré un plan de continuation ou de cession. Au total, environ 650 salariés seraient concernés en Bretagne, dont près de 240 pour le seul site rennais.
Un modèle de location-gérance sous pression
Depuis plusieurs années, Carrefour a massivement recours à la location-gérance pour une partie de ses hypermarchés. Le groupe conserve l’enseigne, l’immobilier et le cadre commercial, tandis qu’un exploitant indépendant supporte directement les risques économiques et sociaux du magasin.
Dans le cas breton, les quatre hypermarchés en difficulté sont liés à Pont de Bois, groupe finistérien déjà engagé dans un bras de fer avec Carrefour autour des conditions d’approvisionnement et des équilibres financiers des contrats. Depuis la rentrée 2025, plusieurs clients ont rapporté des rayons clairsemés et des tensions sur les livraisons dans certains magasins du groupe. Le tribunal de commerce de Rennes avait d’ailleurs ordonné la reprise des approvisionnements le 19 novembre après une procédure engagée par la famille Guillerm, propriétaire de Pont de Bois.
La mise en redressement judiciaire marque une étape supplémentaire. Le tribunal constate la cessation de paiements et place les sociétés concernées sous le contrôle d’un administrateur judiciaire. L’activité des magasins est maintenue, mais l’avenir de chaque site dépendra de la capacité à présenter un plan crédible de redressement, de cession ou, à défaut, de liquidation.
À Rennes Alma, un choc social et des salaires en suspens
À Rennes Alma, l’annonce est tombée brutalement, par courriel, fin novembre. Les salariés y ont appris que la société gestionnaire de l’hypermarché était placée en redressement judiciaire avec effet au 26 novembre 2025. Beaucoup disent ne pas avoir été informés en amont et découvrent la situation en même temps que le grand public.
Particularité lourde de conséquences pour les foyers, les salaires de novembre n’avaient toujours pas été versés au 1er décembre. Les employés ont été informés qu’ils recevraient deux bulletins distincts : l’un, pris en charge par l’AGS (l’organisme de garantie des salaires) jusqu’à la date d’ouverture de la procédure, l’autre par leur employeur pour la fin du mois. Dans les faits, plusieurs témoignages font état de virements retardés, voire inexistants à la date annoncée.
« On a des crédits, des loyers, des enfants, et on se demande comment on va boucler le mois », confie une employée de longue date, qui décrit un magasin où « les équipes tiennent par solidarité, mais avec la boule au ventre ».
Un autre salarié résume : « On nous dit que le magasin reste ouvert, mais personne ne sait ce qui va se passer dans six mois. C’est très très dur pour tout le monde. » Dans les allées, les clients, eux, découvrent parfois l’information en caisse et par bribes de conversation, entre incompréhension et soutien aux équipes.
Un enjeu local d’emploi et de vie de quartier
Au-delà de la seule enseigne, la situation des hypermarchés bretons pose la question de l’emploi local et du rôle de ces grandes surfaces dans la vie quotidienne des habitants. À Rennes Alma comme à Plouzané, Saint-Renan ou Grâces, les magasins concernés sont souvent des pôles de services (galerie marchande, commerces associés, prestataires) et des employeurs majeurs, en particulier pour des salariés peu mobiles ou en temps partiel. Pour l’instant, les autorités judiciaires et les repreneurs potentiels — le cas échéant — restent discrets. Côté syndical, plusieurs organisations voient dans cette séquence la confirmation des risques sociaux du modèle de location-gérance et ont annoncé des actions en justice au niveau national.
Quelles suites possibles ?
Pendant la période d’observation, plusieurs scénarios restent ouverts :
- Plan de continuation : le groupe Pont de Bois (ou une de ses sociétés) présente un plan de redressement validé par le tribunal, avec maintien de l’exploitation sous enseigne Carrefour.
- Cession totale ou partielle : un ou plusieurs repreneurs rachètent les magasins, avec engagement sur une partie des emplois.
- Changements de format : transformation éventuelle de certains sites (réduction de surface, changement d’enseigne, repositionnement commercial).
- Liquidation judiciaire : scénario le plus redouté, en cas d’absence de solution viable, qui entraînerait la fermeture et des suppressions d’emplois.
Pour les salariés, l’urgence est double : obtenir des garanties sur le paiement des salaires à court terme et de la visibilité sur leur avenir professionnel à moyen terme. Le dossier, très suivi en Bretagne, devrait connaître de nouveaux développements au fil des audiences devant le tribunal de commerce de Rennes.
Comprendre le redressement judiciaire
Le redressement judiciaire est une procédure encadrée par le tribunal de commerce, destinée aux entreprises en cessation de paiements mais qui disposent encore d’une chance de survie.
- 1. Constat de cessation de paiements
L’entreprise ne parvient plus à faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Le dirigeant, un créancier ou le parquet saisit le tribunal. - 2. Ouverture de la procédure
Le tribunal ouvre un redressement judiciaire, nomme un administrateur judiciaire (chargé d’assister ou de remplacer le dirigeant pour certains actes) et un mandataire judiciaire (représentant des créanciers). Une période d’observation s’ouvre, en principe pour six mois, renouvelable. - 3. Maintien de l’activité et des contrats de travail
En principe, l’activité continue. Les contrats de travail sont maintenus, mais des licenciements économiques peuvent être envisagés dans le cadre d’un plan de redressement ou de cession. Les salaires impayés sont, dans certaines limites, pris en charge par l’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés). - 4. Issue de la procédure
Au terme de la période d’observation, le tribunal choisit entre :- un plan de continuation (l’entreprise poursuit son activité en apurant sa dette selon un échéancier),
- un plan de cession (reprise totale ou partielle par un tiers),
- ou la liquidation judiciaire, lorsque la situation est irrémédiablement compromise.
Pour les salariés, le redressement judiciaire signifie donc à la fois la préservation immédiate de l’emploi (l’entreprise ne ferme pas du jour au lendemain) et une forte incertitude sur le moyen terme, en fonction des repreneurs, des plans proposés et des arbitrages du tribunal.
