Dans L-F Céline : Le Misanthrope de Meudon, Christophe Malavoy raconte les dernières années de Céline à Meudon. En se substituant à l’écrivain, il prend un pari risqué mais réussi.
Il fallait oser. Il a osé. Le comédien Christophe Malavoy a osé prendre le stylo à la place de Céline, lui emprunter ses mots pour raconter les dix dernières années de la vie de l’auteur de Voyage au bout de la nuit. Il faut dire qu’il a un parcours célinien indiscutable avec plusieurs ouvrages à son actif dont la remarquée bande dessinée co-signée avec Paul et Gaëtan Brizzi, La Cavale du docteur Destouches (1). Cette BD raconte l’escapade à la fin de la guerre de Céline, sa femme Lucette et Bébert son chat vers l’Allemagne et Sigmaringen, le château où logèrent 1142 collaborationnistes. L’écrivain tirera de cette fuite, trois romans Un château l’autre, Nord et Rigodon. Il semblerait que l’acteur amoureux de la prose célinienne eut envie de poursuivre son histoire avec le retour de l’écrivain, le premier juillet 1951, du Danemark où il fut emprisonné jusqu’à sa mort le premier juillet 1961. Dix ans juste, symbolisés par la maison de la route des Gardes à Meudon, ce pavillon qui marque la fin de vie de l’écrivain devenu dans le langage commun « l’Ermite de Meudon ».
L’auteur aurait pu se contenter de raconter une nouvelle fois cette période d’isolement relatif au cours duquel Céline a forgé son image de personnage rejeté, trahi, détesté, misérable, que des rencontres, honnies mais pourtant acceptées, avec des journalistes, des photographes immortalisèrent en un pauvre hère vêtu à la clocharde, décharné et malheureux de la haine des autres. Malavoy a préféré relevé le défi de raconter cette décennie avec un « Je » en majuscule. Ce n’est pas rien de remplacer la plume du Prix Renaudot 1932. Il faut d’abord connaitre à la perfection les faits, les évènements et l’auteur n’invente rien, fort de son expérience célinienne et de nombreuses archives écrites, parlées et télévisuelles qui documentent cette période. Mais le plus difficile n’est pas là. Il faut écrire « comme » Céline, respecter « la cadence », « le rythme » et ce vocabulaire parlé traduit en écrit, ces comparaisons uniques, ces mots crachés au lecteur. Ce « parti pris audacieux » comme il le qualifie lui-même dans sa préface, Christophe Malavoy le réussit parfaitement. Tout est crédible, possible. Les fameux trois points … sont bien entendu présents à longueurs de pages mais ils ne suffisent pas. Le reste, ce qui fait l’écriture célinienne, s’entend, le « rendu émotif » recherché qui exclut toute raison, toute analyse que conchie Céline, prend le lecteur dans ses filets et devient un véritable plaisir de lecture. Comme au théâtre « on s’y croit ». Bien entendu on retrouve les obsessions de Céline, sa détestation des politiques, des oligarchies, des éditeurs et de Gaston Gallimard, son goût pour la pratique de la médecine des pauvres, sa sensibilité à fleur de peau, l’omniprésence de la guerre et de ses souvenirs, ses maux de tête. Malavoy a cependant la hardiesse de quitter parfois ces domaines connus pour explorer d’autres recoins plus cachés comme ces magnifiques pages consacrées à Rembrandt et sa capture de la lumière. Parfois sont glissées habilement des références contemporaines comme celle, elle n’est pas la seule, du « ruissellement » probablement inconnue en ces termes dans les années cinquante : « favorisez les classes supérieures, l’argent ruissellera jusqu’aux classes laborieuses … une belle trouvaille ! … sauf que si l’eau ruisselle, l’argent lui remonte… et il remonte toujours dans les poches de ceux qui le détiennent … ». Et les pages écrites contre la télévision, responsable d’un nivellement par le bas, résonnent avec nos réseaux sociaux contemporains. Discrètement les colères de Céline sont actualisées.
Puisqu’il s’agit d’une fiction, le récit n’est pas accompagné de photos mais de magnifiques dessins et illustrations de José Correa qui marquent une distance nécessaire que la reproduction exacte de la réalité n’aurait pas permise. Les portraits au fusain de Céline, de ses amis, Arletty, Marcel Aymé, Gen Paul, Michel Simon sont empreints d’une rare beauté en disant l’essentiel de ces êtres qui osent encore fréquenter le docteur Destouches après sa juste condamnation morale, politique, et judiciaire.
On ne peut désormais occulter la question de la volonté ou non de réhabiliter Céline. Tout ouvrage qui lui est consacré est passé au tamis de la morale. À juste titre. Mais on peut aussi accepter le plaisir d’une lecture qui présente l’écrivain comme un anar, refusant la compagnie de la plupart des hommes, rejetant toute forme de compromis. Et puis n’oublions pas qu’il s’agit bien d’une œuvre de fiction car comme le déclare le duo Céline-Malavoy « copier la réalité n’a jamais fait un livre » et de poursuivre : « la réalité on s’en fout ! On la voit tous les jours la réalité et on s’en passerait bien !… ».
L-F Céline : Le Misanthrope de Meudon. Texte : Christophe Malavoy. Illustrations de José Correa. Éditions de L’Observatoire. 220 pages. 22€.
(1) Futuropolis: 2015