« La scène est notre conquête ! » : Mai, juin, juillet est la nouvelle réussite de Christian Schiaretti. Le projet de cette pièce (commande d’écriture de France Culture et du TNP) est de relater les événements qui ont secoué le théâtre en France durant l’année 1968. A travers eux, c’est un regard sur l’évolution de la société française qui est proposé, ainsi que sur les mutations de l’idée de Révolution.
Mai, juin puis juillet 1968 : trois mois décisifs pour le théâtre en France. Mai, c’est l’Odéon occupé ; juin, d’interminables discussions entre directeurs de théâtres publics à propos du rôle et de la nature même de l’art théâtral ; juillet, le festival d’Avignon dans la tourmente d’une déferlante d’étudiants. Entre représentation des événements à proprement parler, correspondance fictive entre Jean Vilar et Jean-Louis Barrault et discussion du texte même par une incarnation du dramaturge, Christian Schiaretti nous promène avec brio malgré un rythme inégal.
Le texte est audacieux par sa longueur, par son thème, par la mise en abyme qu’il implique. Tout en subtilité, il guide un spectateur ravi… quand il ne s’ennuie pas. Car si les interventions de « la dramaturge » font d’abord sourire, elles deviennent vite superflues. Dans un spectacle de cette longueur, elles sont même fatales par leur côté excessif : il arrive que l’on se perde, ou du moins que l’on s’interroge sur ce choix qui brise le rythme enlevé d’une pièce aussi exceptionnelle.
Car exceptionnelle, elle l’est, à n’en pas douter ! Sur la scène du TNP, le théâtre est vivant, concret. L’enthousiasme des jeunes révolutionnaires sur le plateau est contagieux. Le public est bien vite embarqué, pris à partie et mis en position de quasi-acteur : on se sent véritablement figurant. La mise en scène joue beaucoup sur des effets de surprise (ainsi l’apparition aussi soudaine que bruyante de trente ou trente-cinq étudiants arrache un cri à certains). Tout l’espace est envahi et manipulé. Le théâtre – non pas seulement en général dans le texte, mais aussi dans cette salle même du TNP où se donne la représentation – est en ébullition. Il est effervescent, vivant, paradoxal aussi, car il va jusqu’à dépasser son caractère évanescent en s’auto-représentant. On jubile pendant près de quatre heures d’être là.
Il est vrai que le spectacle doit beaucoup à la qualité du jeu des acteurs. Ces derniers s’approprient un lieu dénudé et en font un espace de parole, de construction de pensée. Il serait impossible de tous les mentionner – en comptant les figurants, ils sont quarante-sept à nous éblouir pendant des heures. Saluons tout de même l’extraordinaire Eric Ruf, qui réveille en Juillet une pièce qui s’est quelque peu empâtée en Juin. Il est un Jean Vilar plus que convaincant. La magie du théâtre opère, il fait revenir d’entre les morts un être qu’une partie du public n’a jamais pu connaître et le fait se tenir là, devant nous ; il est alors, sur cette scène, avec sa voix qui porte si bien et son jeu si nuancé, tout en intériorité sans rien dissimuler au spectateur, le plus grand des magiciens.
La scène est, à tous, leur conquête. Le cœur des spectateurs aussi. Alors, pourquoi si peu de dates ?
Minyu
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Mai, juin, juillet de Denis Guénoun
Mise en scène Christian Schiaretti
Avec : Marcel Bozonnet Jean-Louis Barrault, Éric Ruf (Sociétaire de la Comédie-Française) Jean Vilar
Et Stéphane Bernard, Antoine Besson, Laurence Besson, Magali Bonat, Olivier Borle
Clément Carabédian, Baptiste Guiton, Julien Gauthier, Damien Gouy
Christophe Jaillet, Benjamin Kérautret, Anna Kupfer, Maxime Mansion
Clément Morinière, Jérôme Quintard, Yasmina Remil, Colin Rey, Juliette Rizoud
Stanislas Roquette, Clara Simpson, Philippe Vincenot
et Adrien Dupuis-Hepner, Julie Guichard, Louise Vignaud
Marceau Beyer violoncelle
la troupe du TNP, la Maison des comédiens
Scénographie Fanny Gamet, costumes Thibaut Welchlin, son Laurent Dureux,
lumières Vincent Boute, vidéo Nicolas Gerlier, coiffures, maquillage Romain Marietti
assistant à la mise en scène Baptiste Guiton
Production Théâtre National Populaire