Pierre Henry, créateur et chercheur en matière de musique, a prononcé ses dernières paroles le 5 juillet 2017 à Paris. Une bien triste nouvelle pour ceux qui pensent que la musique est une entité vivante et en permanente évolution.
Bien sûr le grand public avait un peu oublié son nom, admettons l’idée que son aura s’était un peu atténuée, cependant, pour tous ceux qui ont été adolescents pendant les années 70, tous se souviennent d’avoir fréquenté les « boums » et s’être tortillé avec les yeux exorbités et des gestes de déments sur ce qui fut son tube dans le monde entier « Psyché rock ». Rien de mieux pour agacer les parents que d’écouter à fond sur un tourne-disque cet air tiré de son œuvre « messe pour le temps présent » à laquelle le regard bienveillant de Maurice Béjart ne suffisait pas à donner un air de légitimité. Pas forcément frappé au coin du génie, cette musique n’en était pas moins entièrement nouvelle. Elle symbolisait le souhait de toute une jeunesse de s’extraire par tous les moyens du cocon étouffant que vingt années d’après-guerre avaient tissé sur leurs épaules. C’était bizarre et exaltant.
Aucun de nous n’aurait supposé que ces expérimentations auraient ouvert le chemin à des Jean Michel Jarre, Edgar Froese ou des groupes comme les très teutons Kraftwerk ou même Tangerine Dream et leur musique spatiale. Peu importe, c’était radical, il n’y avait pas de paroles, pas le son honni de l’accordéon de papa, mais de nouvelles sonorités étranges émises par les premiers synthétiseurs ou d’autres bizarreries appelées « Mellotron ».
Rien n’ accompagnait mieux les premières expériences en matière d’herbe que ces sons souvent longs et répétitifs qui donnaient à penser qu’il serait possible d’aborder à d’autres dimensions d’ordre spirituel. Pierre Henry, à cette époque, s’il avait trouvé le succès, n’en était pourtant pas à son coup d’essai. Dès 1946, il avait travaillé avec le musicien Pierre Schaeffer, il était devenu rapidement chef de travaux du groupe de recherche sur les musiques concrètes (GRMC). D’ailleurs, qu’entend-on vraiment par musique concrète? La définition proposée par Schaeffer est lumineuse:
Lorsqu’en 1948, j’ai proposé le terme de musique concrète, j’entendais, par cet adjectif, marquer une inversion dans le sens du travail musical. Au lieu de noter les idées musicales par les symboles du solfège, et de confier la réalisation concrète à des instrumentistes connus, il s’agissait de recueillir le concret sonore, d’où qu’il vienne et d’en abstraire les valeurs musicales qu’il contenait en puissance.
Cela induit bien entendu la nécessite de reproduire ces sons à l’aide de haut-parleurs et conduit à la création d’une nouvelle esthétique appelée « art acousmatique ». Pierre Henry, tout à fait en accord avec cette approche refuse d’utiliser des notes qu’il trouve simplement « bêtes ». Le côté déroutant de ce personnage est sans doute sa longévité dans le travail, car si son apprentissage a commencé à 10 ans au conservatoire national supérieur de la ville de Paris (il fut élève de Nadia Boulanger et Olivier Messiaen), il n’a cessé pendant plus de quatre-vingts années d’expérimenter, de réfléchir mais surtout de créer. Il a fondé une énorme sonothèque de 50 000 sons regroupés dans le premier studio privé et cela a été le terreau de toutes ses productions.
Après cette vie d’un travail acharné, Pierre Henry a discrètement fermé la porte et s’en est allé. On dit en général que tout le reste est silence…. avec lui, cela risque de changer.
Hommage à Pierre Henry sur Arte TV, à voir en replay jusqu’au 6 octobre 2017 ici.