La nouvelle collection MANIFESTE des éditions Autrement offre à une personnalité de s’engager pour une valeur en réunissant autour d’elle des invités : auteurs, artistes, philosophes, hommes et femmes d’actions qui font écho à l’idée qu’elle défend. Dans ce second tome, Nathalie Rykiel évoque l’élégance à travers ses multiples inspirations : l’allure, l’audace, la singularité, la différence, et quelques rencontres qui, chacune à sa manière, apporte une pierre à ce très beau livre illustré par le talentueux graphiste Vahram Muratyan.
Jérôme Enez-Vriad : Dans l’introduction du livre, il est question de vous et d’une très belle femme qui a su apprivoiser une certaine idée de l’élégance. Pouvez-vous en dire un peu plus sur cette anonyme que tout le monde reconnait ?
Nathalie Rykiel : Elle n’est effectivement pas tout à fait anonyme, puisque je me décris petite fille observant celle qui ne peut être que ma mère se préparant avant de sortir le soir. Que dire de plus ? Elle incarne à mes yeux une élégance si personnelle, inimitable, alliant l’extravagance d’une vraie excentrique à la rigueur du regard dépouillé d’un maitre japonais ?
« La mode se fout de l’élégance », dites-vous. Quelle est la frontière entre les deux ?
Fragile. En fait, elles se frôlent. L’une est un phénix, elle se nourrit d’excès, sa durée de vie est de six mois, elle doit se renouveler et tout faire pour attirer l’attention des médias. L’autre est rarement dans l’outrance, ne dévoile jamais ses ficelles et est intemporelle. Elles peuvent se croiser, se chevaucher, le temps d’une saison qui décrètera l’élégance « à la mode ».
La bonne éducation à laquelle vous faites référence, est-elle immanquablement partie prenante de l’élégance ? Ne peut-on avoir la grâce et la simplicité sans la maitrise de certains codes sociaux ?
La bonne éducation, telle que je l’exprime, induit plutôt la place laissée aux autres, l’attention qui leur est apportée, le regard qu’on leur porte, plutôt qu’une référence aux codes sociaux.
Je vous cite : « Ma grand-mère était coquette. Ma mère, excentrique. Mes filles ont du style. » Et vous, Nathalie Rykiel, comment êtes-vous ?
Mon élégance serait de rester muette !
Qui pourrait incarner l’élégance contemporaine ?
Chacun et chacune des invités de mon livre. On peut, à l’image de leur démonstration, trouver une forme d’élégance dans la vanille ou la masturbation, dans une promenade ou dans la main d’un partenaire… Aujourd’hui, l’élégance est rare, mais peut se trouver partout. Elle n’a plus grand-chose à voir avec l’image nostalgique des années Audrey Hepburn et Cary Grant. L’époque est à la vitesse. Le chaos et l’exagération ne sont pas propices ni à l’expression d’une grâce ni à un détachement et, moins encore, d’un presque « évanouissement » à la Delphine Seyrig. Pour autant, il y a des moments d’élégance, des comportements élégants, c’est surtout cela qui compte.
« Le maintien dans la dégaine – La qualité et non le luxe – L’allure, mais la simplicité » ; Votre vision de l’élégance est, en fait, très proche de la voie du milieu. Quasi bouddhiste.
L’élégance est une grâce et la religion croit parfois en La grâce.
Un mot pour exprimer son contraire ?
Vulgarité.
Olivier Saillard, directeur du musée Galliera, est l’un de vos invités. À propos des couturiers, il évoque « Trop d’artistes, mais pas assez d’art. »N’y aurait-il pas aujourd’hui trop d’effervescence, de fausse création ? L’agitation, l’émotion vive et stérile, ne sont-elles pas les ennemies de la véritable élégance ?
Et pourtant ! C’est un signe de vitalité, de liberté d’expression, de démocratie. Il n’y a rien de pire que la censure. Tout, même l’effervescence stérile que vous décrivez à juste titre, est préférable à n’importe quelle forme de jugement qui engendrerait une éventuelle idée de censure. Je rejoins complètement Olivier Saillard sur ce point, mais, pour répondre à votre question, l’élégance n’a aucun ennemi. Comme le talent, quand elle est là, on ne voit qu’elle !
Giorgio Armani réserve sa Haute Couture à une clientèle très choisie…Karl Lagerfeld a des idées arrêtées au sujet de la femme ronde… La maison Rykiel signe-t-elle des créations pour toutes les femmes ou seulement les élégantes ?
Sonia Rykiel s’est toujours adressée à toutes les femmes. Rondes, minces, grandes, petites. C’est à chacune desavoir ce qui lui va, ce qu’elle peut s’approprier dans une collection, ce qui ne va pas la déguiser, mais, au contraire, la sublimer en fonction de son corps. Nous sommes dans le luxe, mais, à plusieurs reprises, Sonia Rykiel a tenu à rendre ses vêtements accessibles au plus grand nombre. Ce fut le cas en 1976 avec Les trois Suisses, et dernièrement en 2008 avec la création de deux collections pour H&M. C’est aussi, à mon avis, une forme d’élégance. Sociale, celle-là.
Le livre commence par une citation de Cocteau et se termine par Nietzsche. Quel auteur y a-t-il en vitrine chez Rykiel en ce moment ?
Un choix très varié de ceux que j’ai lus ou envie de lire…
Un conseil de lecture, alors ?
Se faire plaisir avant tout, comme le dit si bien Daniel Pennac ! Et, toujours, se replonger dans les classiques…
Si vous aviez le dernier mot, Nathalie Rykiel ?
Je vous remercierais…
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