Comment a eu lieu le mariage Monory Landerneau ? L’idée a été soufflée par Isabelle Maeght, dont la famille a toujours soutenu l’artiste. L’exposition rétrospective est concrétisée par Pascale Le Thorel, critique d’art et auteur d’une monographie sur le « peintre-cinéma ». Ouvert avec Gérard Fromanger, le Fonds Hélène et Édouard Leclerc invite donc aujourd’hui et jusqu’au 17 mai un autre illustre membre du mouvement des Figurations narratives : Jacques Monory.
Nombreux sont ceux qui comme Michel-Édouard Leclerc ressentent « l’impression d’avoir toujours vécu avec l’œuvre de Jacques Monory. Depuis la fréquentation des galeries dans les années 70 jusqu’à la lecture des polars dont certaines de ses peintures faisaient les couvertures, ses “images” s’imposaient à notre génération ». Et de préciser : « il ne s’agit pas simplement d’une esthétique, de la réminiscence d’une couleur ou d’un procédé ». Il parle de ses thèmes, de ses obsessions (le cinéma, l’Amérique, les bagnoles, la femme…) et des mythes de la société moderne dont il s’est inspiré. Michel-Édouard Leclerc était allé voir la grande expo de la Figuration narrative au Grand Palais en 2008, puis l’expo inaugurale du Mac/Val confiée à Monory. Depuis, il se l’était juré : « c’est à Landerneau, foi de Breton, qu’on lui offrira sa plus belle exposition ».
Jacques Monory, enthousiasmé par les possibilités qu’offrent les volumes des Capucins a gambergé sur l’accrochage depuis son atelier. Durant six mois, avec ses proches, il a recensé les tableaux, les carnets et les collectionneurs. De son côté, Éric Morin, l’architecte-scénographe rennais, travaille à la mise en espace. Son idée force : créer des effets de miroir en plaçant des surfaces réfléchissantes sur les tranches des cimaises.
L’installation à caractère rétrospectif permet de découvrir des tableaux, dont de très grands formats, prêtés par de prestigieuses collections privées et publiques (Centre Pompidou, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Fonds National d’Art contemporain, Mac/Val, Musées de Marseille), ou fondations (Fondation Maeght, Fondation Salomon, Fondation Gandur pour l’Art). Elle présente aussi l’ensemble des films de Monory, des photographies, des collages et des objets, souvent inédits… On trouve là son esthétique unique dans le domaine des arts plastiques, proche de grands morceaux littéraires et cinématographiques du XXe siècle (filiation Borges, Pessoa, Modiano, Beinex). Sa quête du temps, son atmosphère poétique particulière, son écriture, tendues par un « pessimisme-scepticisme-nihilisme-individualisme-anarchisme-désespoir » en font pour Pascale Le Thorel « l’un de ces artistes rares, dont l’ADN s’inscrit dans son époque et hors temps ».
L’exposition Jacques Monory Landerneau révèle l’œuvre de celui qui nomme ses histoires des « scénarios thrillerés » et que son ami, le philosophe Jean-François Lyotard, a qualifié du titre baudelairien de « peintre de la vie moderne ». Créateur d’atmosphères, metteur en scène de fragments, Monory utilise la photographie pour rendre ensuite en peinture « le climat, l’impression, la sensation, le fait divers symbolique ».
Si le bleu Monory identifie immédiatement ses peintures, on voit dans ses tableaux du début des années 1960 une tendance à la monochromie allant des roses vers les bleus. Le répertoire graphique se constitue avec la silhouette du peintre, les femmes, les animaux, les voitures, le revolver, la mort qui rôde… travaillés toujours en série.
L’exposition Monory Landerneau s’ouvre avec des tableaux des premières années, oeuvres matrices rassemblées pour la première fois, aux titres évocateurs – Astérion l’unique, Comme il vous plaira, Elle, 6 heures du matin, Un autre, Out of the blue… Suivent les séries devenues mythiques : les Meurtres et Ex-. (Voir notre diaporama au pied du présent article).
Le tableau For all that we see or seem, is a dream within a dream (Car tout ce que nous voyons ou sentons est un rêve à l’intérieur d’un rêve, 1967) ouvre l’ensemble des Meurtres. Son titre est tiré d’une nouvelle d’Edgar Poe. Choisi comme emblème de l’exposition, il formalise une rupture amoureuse, une fêlure dans la vie de l’artiste. L’homme et la femme sont isolés et séparés formellement par une ligne blanche, une fissure qui traverse la peinture. Pour « exécuter » les vingt-huit tableaux de la série Meurtre, Jacques Monory tira à balles réelles sur des miroirs ! L’effet « nature morte », ou scène de crime est saisissant. « J’ai peint les Meurtres pour indiquer ce que je vivais, une agression à mon égard ; je l’ai petit à petit élargie jusqu’à l’idée que cette agression était généralisée. Je n’étais plus particulièrement une victime, j’étais une victime comme les autres. Seulement, à un certain moment, je l’ai ressenti vis-à-vis de moi-même brutalement » dira Jacques Monory en 1972. La part autobiographique et la temporalité, rendues par différentes séquences « sur les principes des collages surréalistes », sont affirmées. Les éléments de rêve, de transposition, de catharsis sont mis en scène, colorisés. Le rapport à la photographie et au cinéma est établi par l’emploi des couleurs (le bleu de la nuit), les formats (l’horizontalité, l’écran, le principe des planches contact), l’arrêt sur image, les titres – fictionnels ou narratifs.
Cette esthétique très « roman-photo » restera sa signature, identifiable encore dans ses œuvres des années 2000. Si son inspiration aborde aussi ses proches (Antoine n°11) et ses découvertes (Arcachon, Pompéi…), sa rencontre avec les États-Unis engendre une fascination récurrente. On le voit avec ses photographies désormais vintage, confirmant son goût des lieux « border-line », comme cet étrange musée d’ethnographie de l’Utah mêlant cranes d’hommes et d’animaux. Que dire de ce sobre salon de barbier, une fois que le cartel révèle qu’il s’agit de celui de la prison de Rikers Island ? D’est en ouest, Jacques Monory parcourt l’Amérique, cet « enfant monstrueux qui nous fascine ». Elle lui inspirera un hommage à Edward Hopper – un de ses peintres de prédilection – et une œuvre extraordinaire, le grand triptyque Death Valley n°1, où il intègre la gravure du Chevalier et la mort de Dürer. Dans un autre ensemble, il représente « l’imbécilité de la richesse et du pouvoir » du monde hollywoodien.
Retour au cinéma, mais en France, Jacques Monory réalise en 1985, La Voleuse, où il rend hommage à son film culte : Gun Crazy, de Joseph H. Lewis. Quatre ans plus tôt, Beineix a réalisé Diva, directement inspiré de la série des Opéras glacés, peinte entre 1974 et 1975. Totalement fasciné, Beineix disait « ce sera bleu, ce sera un monochrome ». Ses techniciens s’inquiétaient : « trop bleu, cela va être trop ». Curieusement, les deux hommes ne se rencontreront que trente ans plus tard. C’est trop, non ?
Expo Monory Landerneau Fonds Leclerc, Aux Capucins 29800 Landerneau, 4 décembre 2014 – 17 mai 2015, horaires tous les jours de 10h à 18h.
Cinéma toujours : durant l’exposition on pourra voir non seulement les films de Monory (Brighton bells, Le moindre geste peut faire signe) mais aussi un cycle de films noirs américains (Scarface, Citizen Kane, Gun Crazy, etc.)