Imprégnation, le spectacle de la MO Compagnie, co-produit par les Tombées de la nuit, s’est déroulé dans la ferme de Vieuxville. Éclectique, surprenant et engagé, le spectacle a très vite pris des allures de tragi-comédie.
Objectif de la MO compagnie : présenter des spectacles insolites qui provoquent du désordre poétique. Ce fut bien le cas samedi soir ! La troupe aime aussi présenter ses productions dans des espaces peu traditionnels. D’où la première édition d’« Imprégnation » dans le cadre des Tombées de la nuit. En raison d’impératifs techniques, la performance ne peut se dérouler que dans le noir, elle a donc commencé à 22h30. Elle a offert au regard du spectateur une pièce aussi sombre que lumineuse.
Un spectacle critique…
« Imprégnation » n’est pas le titre d’un spectacle d’art vivant un peu abstrait. Dès le début, le spectateur comprend qu’il est le fait d’artistes engagés. Morgan Davalan – artiste, chorégraphe et performeuse – debout sur la scène, stoïque, répète de façon monotone ce qu’elle entend dans son casque audio. Elle psalmodie des extraits de Journaux télévisés (JT) mis bout à bout dans un désordre complet et volontaire. Certains mots reviennent plus que d’autres : « Bonsoir, dans les titres de l’actualité… » ou encore « pétrole », « guerres » et « moyen-orient ». Les extraits de JT sont nombreux et variés, certains remontent même aux années 1940 ! Son corps devient haut-parleur et les mots remplissent l’espace bruyamment. Morgan Davalan a imaginé ce procédé, car elle s’est rendu compte que ses connaissances sur le Moyen-Orient étaient virtuelles, communiquées par les médias, et que le pétrole jouait un rôle majeur dans les guerres qui se déroulent dans cet espace lointain. Le discours met en abyme l’« imprégnation » de ce sujet dans nos esprits, devenu familier et banalisé par les informations. La MO compagnie entend interroger cette imprégnation médiatique au regard des conflits du Moyen-Orient ainsi que notre rapport au réel après conditionnement. La scène devient encore plus absurde lorsque Christophe Bricheteau – comédien et performeur – tente de la déstabiliser et de lui voler son micro. La comédienne continue de parler, imperturbable.
Puis, Morgan Davalan se met à danser une chorégraphie marquée par une symbolique gestuelle qui évoque des postures et des codes militaires. Le spectateur ne manque pas de remarquer la fluidité de la danse (pour Morgan Davalan le yoga, la méditation et le tai-chi sont sources d’inspiration et de création chorégraphiques). Elle se meut sur une musique reprenant un discours de Georges W. Bush du 17 mars 2003. Dans ce dernier, l’ancien président des États-Unis (de 2001 à 2009) lance un ultimatum de 48 heures à Saddam Hussein pour quitter l’Irak sous peine d’attaque de l’armée américaine. L’artiste mime des corps qui tombent dans le bruit de cliquetis des armes.
Good night and may god continue to bless america (Bonsoir, et espérons que Dieu continue de bénir l’Amérique). Silence.
… Mais aussi plein d’humour !
Tout à coup, changement d’ambiance et musique de Jean-Michel Jarre ! Les deux protagonistes dansent un slow torride devant les spectateurs interloqués. La performeuse crie dans le micro : « je suis bien, je suis bien, on est bien ! » Ces mots s’intègrent et se répètent dans la musique. L’occasion pour Christophe Bricheteau d’expliquer, dans une sorte de petit sketch théâtral, pourquoi « on est bien ». Il décrit, dans un texte plein d’humour, la composition de nos objets du quotidien liés à l’utilisation du pétrole. Le comédien fait un stand-up.
Dans une ambiance conviviale, il va jusqu’à proposer aux spectateurs un « intermède culinaire » (huîtres et vin blanc) – un entracte à ses yeux nécessaire à tout spectacle d’art contemporain qui se respecte (on est bien d’accord !). C’est sous couvert d’humour que l’artiste parle du réchauffement climatique. Il ironise sur la controverse entre les scientifiques qui expliquent que le pétrole, consommé par l’activité humaine, provoque des gaz à effet de serre (ou dioxyde de carbone) entraînant par la suite le réchauffement climatique et ceux qui affirment que ce dernier est dû à un phénomène naturel : l’éruption solaire. « Il faut bien des scientifiques pour nous expliquer que le soleil est chaud », se moque-t-il.
L’« imprégnation » mise en scène
Finis de parler ! Le comédien pointe un pistolet de pompe à pétrole sur la tempe de Morgan Davalan. Et il tire… un liquide épais, noir et collant qui se répand sur l’artiste, mais aussi sur toute la surface de la scène. La comédienne rigole et s’ébat dans cette marée noire au rythme de riffs de guitare. Cette dernière scène orgiaque laisse les spectateurs – certains manquant de se faire éclabousser ! – mi écœurés, mi amusés. Ainsi l’imprégnation du pétrole dans nos vies est mise en scène de façon à la fois grave et légère, mais surtout inquiétante. Au feu !
MO Compagnie (France), Imprégnation, Tombées de la nuit 2016
Morgan Davalan : conception, écriture chorégraphie et interprétation
Christophe Bricheteau : écriture et interprétation
El Martyan : conception vidéo
Nicolas Pougnaud : design sonore et création musicale
Céline Péron : administration
Dans cette nouvelle création mêlant danse, théâtre et vidéo, conçue comme tout le travail de Morgan Davalan, pour l’espace public, la MO Compagnie interroge le rapport intime au pétrole et aux guerres qui en découlent au Moyen-Orient. Dans le rendu scénique de notre rapport d’immersion à la « réalité télévisuelle », voix et corps sont les haut-parleurs de la réalité physique de l’IMPRÉGNATION. Au cœur de cette redoutable machinerie performative circulaire, le liquide noir coule, les sons envahissent l’espace, les postures gestuelles s’entrechoquent, les effets se répètent et se répondent comme dans la grande messe quotidienne de l’information… Un travail sans équivalent qui parvient à dire l’état critique de la situation humaine et écologique mondiale, sans leçon et par le seul recours à l’imaginaire spectaculaire.
Coproduction : Les Tombées de la Nuit