Indépendance de Javier Cercas, Cynique et glaçant

Avec ce deuxième tome de la trilogie « Terra Alta », Javier Cercas, l’un des grands écrivains espagnols contemporains, dévoile les dessous de la politique catalane. Cynique et glaçant.

En ces temps de taux d’abstention record et de désamour pour la politique, Indépendance, n’est pas fait pour réveiller les citoyens. Sauf. Sauf que ce roman raconte la politique, ses coulisses, mais à Barcelone. Aucune ressemblance donc avec ce qui pourrait se passer chez nous. Quoique. Il faut croire vraiment aux vertus de la démocratie et penser comme Churchill que ce système politique « est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres » pour garder avec soi un système de valeurs. Le cynisme est la clé de voûte de ce roman policier qui va bien au-delà des codes du genre pour emprunter à l’environnement mondial les succès actuels du populisme et de la xénophobie. Le symbole de cette « mode » est l’élection de la maire de Barcelone, autrefois membre d’ONG venant en aide aux migrants, devenue porte-parole de l’anti-immigration, surfant désormais sur les attentats islamistes de Barcelone et Cambrils de 2017. L’idéologie dans tout cela? Simplement un moyen d’accéder au pouvoir grâce à l’appui des « riches » familles catalanes qui agissent dans l’ombre depuis des décennies et utilisent les politiques comme leurs marionnettes.

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Javier Cercas

En l’occurrence, elles sont trois, ces familles représentées par trois hommes, qui figurent sur la magnifique couverture du roman. « Des fils de putes aussi, bien sûr, mais d’abord des fils à papa. Ils ont commencé comme ça et ils finiront comme cela … ». Leur histoire est donc celle de leur jeunesse dorée, impunie, odieuse et porteuse d’accession au poste de premier adjoint, ou de direction de grande entreprise. Parfois, les mauvaises actions ignominieuses laissent des traces et ressurgissent. C’est la maire qui cette fois-ci est victime d’une « sextorsion », une vidéo sexuelle compromettante filmée du temps où la jeunesse dorée se croyait intouchable. Elle paie, elle démissionne ou la vidéo est rendue publique. La police barcelonaise est débordée et un de ses chefs de service, demande à Melchor, en poste en Terra Alta, de venir l’aider. Les lecteurs fidèles de Cercas, retrouveront avec plaisir le policier héros du premier roman « Terra Alta » justement dans ce qui est désormais une trilogie, le troisième tome étant déjà paru en Espagne. Fils d’une prostituée assassinée, jeune voyou, il a été sauvé par la lecture des Misérables de Victor Hugo et la figure de Jean Valjean. Il appellera sa fille Cosette.

Ecoutez l’interview de Javez Cercas réalisée à l’occasion du premier tome de Terra Alta

On le devine, Cercas donne une silhouette attachante à ce flic qui veut devenir bibliothécaire. Obsédé par l’assassinat de sa mère, symbole du mal, il se fait une certaine idée de la justice et n’hésite pas à mener ses investigations en parallèle. Le flic de province plonge de nouveau dans les arcanes barcelonaises quitte à jouer sa propre partition. Il doit rester calme quand les jeunes riches dévoilent sans aucune arrière-pensée leur manière de faire, de diriger directement ou indirectement la ville plus importante à leurs yeux que le pouvoir d’état. Les dialogues et les justifications de ces nantis devenus âgés sont glaçants de cynisme et deviennent sous la plume de Cercas de véritables cours de réalisme politique. Le cynisme de Machiavel dépassé par Montaigne si on en croit un des personnages. On avoue utiliser les foules lors des crises en cachant les véritables enjeux derrière les slogans d’indépendance, mais la difficulté essentielle est de les faire rentrer chez elles quand on n’a plus besoin de leurs forces. C’est une des leçons déclamées sans retenue.

Ce roman a fait réagir en Catalogne, on le devine aisément, mais en mettant en lumière la « mode » du populisme actuel il ne fait que prolonger les romans de Aro Sainz de la Maza1 qui démontraient déjà comment la capitale catalane est depuis des décennies dirigée et gouvernée par des familles puissantes et occultes.

Lorsqu’un auteur de policier voit ses ouvrages publiés chez une collection non dédiée à ce genre, c’est qu’il a atteint une notoriété suffisante pour être classé en littérature générale. Javier Cercas avec ses ouvrages précédents consacrés au franquisme et à ses conséquences, était déjà devenu un auteur mondialement reconnu. Ses polars sont désormais mis au même niveau que ses livres antérieurs. Et ce n’est que justice.

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Indépendance (Terra Alta II) de Javier Cercas. Éditions Actes Sud. 352 pages. 23€.

Découvrez un extrait ici

Note de bas de page : 
Le Bourreau de Gaudi et Les Muselés chez Babel Noir.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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