Ce carnet de Dora Maar, retracé par Brigitte Benkemoun est une mine d’or, un joyau à soigner. Chacun a ses petites idées cadeau. Et quand vous ne trouvez plus ce qui plaisait à certaines ou certains dans le commerce, vous avez aujourd’hui tout loisir de rechercher l’objet convoité sur des sites en ligne… C’est ce qu’a fait l’auteur de Je suis le carnet de Dora Maar qui a fini par dénicher sur internet un petit répertoire au cuir bordeaux fabriqué autrefois par un sellier de renom.
Mais la journaliste écrivain Brigitte Benkemoun ne s’attendait sûrement pas à tomber sur un répertoire qui contiendrait encore des noms, adresses et numéros de téléphone d’une autre époque, 1951. Elle sait dès lors qu’elle tient là un sujet d’enquête littéraire et nous entraîne dans un monde que seuls quelques privilégiés ont fréquenté, celui d’Aragon, de Breton, Braque, Cocteau, Eluard, Giacometti, et autres Lacan, Picasso, Poulenc.
À qui appartenait donc ce carnet ? À Dora Maar (de son vrai patronyme Henriette Theodora Markovitch), artiste, photographe, avant-gardiste et mondaine qui vivait en recluse – au moment où elle a noté toutes ces informations -, peut-être par déception, probablement parce que trop fragile et blessée par une existence agitée psychologiquement.
Et l’auteur nous entraîne, grâce à une enquête minutieuse et une imagination maîtrisée, dans une époque où tout semblait plus facile, où les artistes vivaient ensemble dans une sorte de bulle en dehors de toute réalité. N’oublions pas qu’on est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et que d’aucuns comme d’aucunes nourrissent le besoin de s’affranchir de toutes formes de restrictions. Certaines et certains d’entre eux ont péri, ont été dénoncés et déportés ; d’autres ont fui la France et l’Europe ; d’autres encore sont passés à travers les mailles des filets des nazis ou des collabos pour poursuivre leur œuvre, qui la peinture, qui la littérature, qui le théâtre, qui la musique.
Brigitte Benkemoun, petite fourmi, aura mis pas moins de deux ans à retracer l’itinéraire artistique, parfois cocasse de ces noms célèbres et illustres sans gommer toutefois les noms d’inconnus parce qu’appartenant en outre au quotidien de Dora Maar (son vétérinaire, son coiffeur, ses artisans). Car si l’on croise dans cesse des artistes de renom dans ce livre, on s’attache surtout à la personnalité de Theo-Dora qui n’a pas toujours vécu des jours et des nuits tranquilles.
Ainsi on découvre ses amours, ses rivalités, sa bataille personnelle contre la fragilité mentale dont elle était atteinte… Et ses illusions qui souvent l’ont conduite à des désillusions, notamment avec Picasso (qui n’apparaît pas dans le carnet, leur séparation remonte à 1945), qui n’a pas manqué lui infliger sa cruauté et ses infidélités. Même si hâtivement on pourrait détourner le regard de Dora Maar, quand on la découvre, aigrie, paranoïaque, antisémite, elle reste attachante de par ses fêlures, ses déchirures et sa fin si triste et sinistre. On ne la plaint pas mais elle attire cependant une forme de compassion et d’empathie. Et de saine curiosité.
La maestria de l’auteur, c’est d’avoir lié avec harmonie les recherches justes et précises au romanesque. Les descriptions de rencontres de Dora avec les uns comme les autres sont souvent croustillantes. Et quel bonheur de plonger dans une époque où une certaine forme d’insouciance reprenait le dessus après trop d’années d’interdictions.
À lire avec envie !