Avec Dopage, ma guerre contre les tricheurs, Jean-Pierre Verdy, l’ancien patron de l’Agence française de lutte contre le dopage, ne livre aucun scoop, ni fait divers, mais témoigne de la difficulté pour une institution officielle de mener un combat juste, revendiqué par tous, mais pourtant combattu de manière souterraine par beaucoup. Y compris par d’autres institutions elles-mêmes. Édifiant.
C’est un livre qui donne le frisson, la nausée même. Un passionné de sport sait que la tricherie fait partie intégrante de sa passion depuis les origines mêmes. Pourtant quand le concept abstrait devient récit, faits concrets, la joie, la passion se fissurent, pareilles à la découverte d’un Père Noël fictif. Le jouet est cassé ou pour le moins fissuré. Ces mensonges, Jean-Pierre Verdy a préféré les regarder en face et même les traquer pour les dénoncer. Entraîneur de l’équipe de France de pentathlon moderne à Atlanta, il est viré pour absence de résultats. Très rapidement il se reconvertit et devient un acteur principal de la lutte antidopage en fondant le département des contrôles de l’AFLD (Agence française de la lutte contre le dopage).
Beaucoup d’ouvrages concernant le dopage s’attache à un fait divers, une confession personnelle, une enquête ciblée qui pourrait être l’objet d’un simple article de presse mais que l’on complète, romance pour en faire un livre. L’intérêt majeur du témoignage de JP Verdy, réside dans un combat mené de l’intérieur, collectivement, contre des tricheurs, mais aussi contre des institutions censées être les garantes de leur sport. C’est contre Armstrong, Vinokourov, ou Fouad Chouki que l’AFLD se bat bien entendu, mais encore plus contre des pouvoirs. Le milieu du foot semble ainsi intouchable et non concerné par le dopage alors que toutes les analyses des phanères (poils, cheveux, ongles) démontrent le contraire.
Édifiants ces cris effarouchés de présidents de clubs, de fédérations qui refusent même l’idée de contrôles. Comme ceux de la fédération internationale de tennis qui privilégie les fondements financiers d’une activité lucrative à l’éthique. Bien entendu le cyclisme est au coeur de cette lutte institutionnelle avec les obstacles menés par l’Union Cycliste internationale (l’UCI), organisme protecteur de Lance Armstrong, le coureur américain, étant le centre de la lutte menée par l’AFLD, celui qui donne des cauchemars à des centaines de contrôleurs, par son arrogance, sa manière de défier les autorités. Sa protection politique, dont celle de Nicolas Sarkozy, est ici clairement exposée. La figure du vainqueur du Tour plane sur toutes les pages du livre, exemple « parfait » d’un athlète dont la tricherie était découverte dès 1999, par un contrôle positif, absous par une ordonnance antidatée. Un simple courage politique aurait dès son origine éteint ce qui allait devenir le plus grand scandale du dopage organisé.
On ressent l’usure provoquée par cette lutte quand vous savez détenir la vérité et ne pouvoir pour des raisons juridiques, politiques, médiatiques, la dévoiler. On devine la passion de la justice chez Jean-Pierre Verdy comme chez tous ses collègues auxquels il rend un hommage appuyé, la passion, mais aussi l’incompréhension, voire la colère, quand on se retrouve soi-même auditionné par les gendarmes par un écoeurant retournement de situation.
Ces luttes institutionnelles détaillées sont aussi complétées par l’évocation de certains noms qui ont peu défrayé la chronique, tant leurs cas dérangeaient. La Juventus de Turin, l’équipe de France 98 et un Didier Deschamps au taux d’hématocrite qui l’aurait empêché de prendre le départ du Tour de France s’il avait été coureur cycliste, Mme Longo qui refusa toujours de se géolocaliser empêchant ainsi des contrôles inopinés en raison de son allergie aux ondes, mais aussi, et ce n’est pas le moins intéressant de l’ouvrage, l’évocation du dopage chez les amateurs, ceux trop nombreux pour être contrôlés, qui se « chargent » pour gagner correctement leurs vies dans des compétitions de deuxième niveau ou même simplement pour battre les copains à la sortie du dimanche.
Pour un Nadal dont l’entourage rejette violemment les préleveurs, combien de Fourcade ou de Estanguet qui demandent simplement plus de géolocalisation, mais aussi des préleveurs plus aguerris pour éviter …. les hématomes? Ou de Federer, seul joueur de tennis demandant plus de contrôles sanguins ? À demi-mots, entre les lignes, des noms sont cités des deux côtés de la ligne rouge. Au lecteur attentif de faire le tri.
L’ouvrage qui ne repose que sur des faits avérés et jugés, émet une seule hypothèse : même dopé à 300%, les performances d’Armstrong, notamment ses accélérations soudaines en montagne, ne sont humainement pas possibles de l’avis de tous les spécialistes. Jean-Pierre Verdy émet alors sa conviction : le coureur américain a utilisé un dopage mécanique. Un domaine hors de la compétence du spécialiste de la lutte anti dopage, aujourd’hui retraité, mais qui laisse la place à d‘autres formes de tromperie tant la tricherie est universelle et éternelle. Même pour gagner un panier garni ou avoir sa photo dans les pages locales du journal régional. Verdy conclut en précisant que le combat continue pour « préserver ce qui fait la beauté du sport et la raison de son succès, son principe essentiel : l’égalité entre les Hommes ». Nul doute qu’il ne s’achèvera jamais.
Dopage. Ma guerre contre les tricheurs de Jean-Pierre Verdy, Éditions Arthaud. 304 pages. 19,90€. Parution : 7 avril 2021.
À consulter pour en savoir plus : le site cyclisme-dopage.com.
Comptes rendus de la commission d’enquête sur la lutte antidopage, le 27 mars 2013, l’audition de Jean-Pierre Verdy est en page 2 :
« Ce qui se passe chez les amateurs est très grave. Les produits utilisés sont les mêmes que chez les professionnels, mais ils le sont de manière anarchique et en quantité impressionnante : on a vu un père injecter à son fils deux à trois fois la dose d’EPO que reçoivent les professionnels. Lorsqu’on se déplace sur le terrain, lors des compétitions, on voit les parents remplir des bidons, casser des ampoules et utiliser de la poudre…
Il est aujourd’hui difficile de trouver des sportifs de haut niveau positifs, ceux-ci ayant les moyens de se protéger grâce à une logistique très étudiée et à des protocoles suffisamment fins, contrairement aux amateurs. Les douanes ou la gendarmerie parviennent encore à saisir des produits dans leur voiture ou à leur hôtel.
Certains clubs ont même les moyens de faire tester tous leurs joueurs par des laboratoires d’analyse afin de savoir si les protocoles sont respectés. Les contrôles deviennent donc de plus en plus difficiles pour nous… »