Il y a des thrillers qui s’infiltrent dans l’esprit du lecteur comme un poison lent, insidieux. La Prof de Freida McFadden – The Teacher – est de ceux-là. Après le succès fulgurant de La Femme de ménage, l’auteure revient avec une nouvelle partition sombre, une tragédie domestique qui s’enroule autour de la figure d’Eve Bennett, une enseignante dont la vie parfaite va se décomposer sous l’effet d’un venin invisible.
War es ein Traum ?
Chaque matin, Eve se lève aux côtés de Nate, son mari. Une routine bien huilée, familière, rythmée par les baisers furtifs et les horaires scolaires. Enseigner les mathématiques à la Caseham High School est une vocation. Une stabilité qui semble inébranlable. Jusqu’au moment où le passé revient à sa porte. Un scandale a secoué l’établissement l’année précédente : un professeur accusé d’avoir eu une liaison avec une élève, Addie. Et aujourd’hui, Addie est assise dans la classe d’Eve. Rien de plus normal, en apparence. Mais pourquoi cette adolescente semble-t-elle obsédée par elle ? Pourquoi cherche-t-elle à s’immiscer dans sa vie, à lui murmurer des secrets qu’elle ne devrait pas connaître ?

Dès les premières pages, La Prof impose une tension sourde, une dérive lente mais inéluctable vers l’angoisse pure. McFadden excelle dans la mise en scène de l’incertitude : qui ment ? Qui manipule qui ?
Le regard d’Addie est omniprésent. Elle ne se contente pas d’être une élève dans cette classe ; elle en devient le point de focalisation, le détonateur d’un malaise grandissant. Eve commence à percevoir sa présence comme une menace, une intrusion qui dépasse le cadre scolaire. « J’ai le sentiment que partout où je vais, elle est déjà là. Qu’elle me regarde d’un peu trop près. Et ce sourire… il ne ressemble pas à celui d’une adolescente normale. »
McFadden déploie l’un de ses talents les plus acérés : jouer avec la perception du lecteur. Eve est-elle trop suspicieuse, ou bien Addie cache-t-elle réellement quelque chose ? Et surtout, que cache Eve elle-même ? Eve a-t-elle enfoui une vérité dérangeante au plus profond de son inconscient ? Addie agit-elle comme un élément déclencheur, réveillant des souvenirs ou des désirs que l’héroïne refuse d’affronter ? « Pourquoi ai-je l’impression d’avoir déjà vécu cette scène ? Comme si mon propre esprit m’empêchait d’accéder à un souvenir que je ne devrais pas oublier… »
Ce motif du déjà-vu, de l’étrangeté familière (unheimlich), est une clé freudienne : quelque chose d’enfoui resurgit sous une autre forme, menaçante et dérangeante. Addie, en tant qu’élément perturbateur, incarne peut-être cette part d’ombre d’Eve, ce double inversé qui sait ce qu’elle-même ignore (ou veut ignorer). Plus loin encore, la La Prof peut être interprété comme un affrontement entre Eve et son Ombre – cette part obscure d’elle-même qu’elle refuse de voir. Addie n’est pas seulement une élève manipulatrice ; elle est la projection des peurs, des désirs refoulés et des angoisses d’Eve. À mesure que l’histoire avance, Eve oscille entre fascination et répulsion envers Addie. Elle cherche à s’en éloigner tout en étant irrémédiablement attirée par elle : « Je devrais la dénoncer, je devrais m’éloigner… mais quelque chose me pousse à en savoir plus. C’est comme si elle me connaissait mieux que je ne me connais moi-même. »
Jung dirait que cette attraction-répulsion révèle la confrontation entre l’ego d’Eve et son propre Animus, la figure masculine inconsciente qui façonne son rapport à l’autorité, au désir et à la domination. Addie, par son regard perçant et son attitude trouble, joue ce rôle de miroir inversé, obligeant Eve à explorer ses propres parts d’ombre.
McFadden excelle dans l’art du twist, et La Prof ne fait pas exception à la règle. Plus l’intrigue progresse, plus le lecteur est pris dans une spirale de doutes et de faux-semblants. La force du roman réside dans cette ambiguïté constante : chaque vérité est un mensonge en sursis, chaque certitude se fissure. Eve, que l’on croyait protagoniste et victime, commence à révéler ses propres failles. Ses souvenirs se déforment, des vides apparaissent dans sa chronologie. La tension ne naît pas seulement de la peur d’Addie, mais de la peur d’elle-même. Qui est Eve ? Quel est son rôle véritable dans cette histoire ?
« Parfois, je me demande si tout cela est réel, ou si c’est moi qui le rends réel. » McFadden ne se contente pas de raconter une histoire ; elle construit un labyrinthe mental. Elle force le lecteur à remettre en question chaque élément, chaque dialogue, chaque interaction. Elle pousse à l’obsession, à la paranoïa, à cette sensation d’être traqué par une vérité qu’on ne veut pas voir.
La Prof est un thriller qui s’infiltre sous la peau. Il ne se contente pas de distiller le malaise, il s’en empare et le fait grandir jusqu’à l’insupportable. Avec une écriture simple mais incisive, Freida McFadden dresse un portrait psychologique intense, où chaque personnage semble tour à tour bourreau et victime, menteur et authentique. Si l’intrigue repose sur des codes classiques du thriller psychologique, elle les exploite avec une intelligence redoutable, transformant une simple histoire de harcèlement en un gouffre de complexité psychologique.
Ist das ein Traum, eine Illusion oder ein Albtraum ?
La traduction du roman The Teacher, paru aux États-Unis en 2024, paraîtra le 16 avril prochain chez City Éditions.
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