LES IDÉES NOIRES DE LAURE GOURAIGE

Notre identité se définit-elle dans le regard des autres ? Le personnage principal du second roman de Laure Gouraige nous invite à le penser. Fille d’un père haïtien et d’une mère française, la narratrice ne s’est jamais posé aucune question sur ses racines. Certes, elle regrette la disparition de sa grand-mère paternelle et a un peu honte de n’avoir jamais mis les pieds en Haïti. Mais, malgré sa peau caramel et ses cheveux indisciplinés, elle ne s’est jamais sentie autre que Française, même Parisienne.

Et pourtant, à trente ans, sa vie bascule un matin en découvrant un message vocal sur son répondeur. Une journaliste l’invite à témoigner à la radio du racisme anti-noir dont elle est victime. Noire ? Les idées noires vont alors envahir ses nuits blanches. Que veut dire « être noire » ? Elle se lance dans des recherches Internet, lit des romans et visionne des films sur la ségrégation aux États-Unis. Et soudain, cette question l’obsède. Jusqu’à y voir une allusion en regardant une brosse de WC mi noire mi blanche ! Ni noire, ni blanche.

Lors d’un déjeuner familial chez sa tante maternelle, elle se sent tout à coup comme une intruse parmi ces gens trop blancs qui se ressemblent tous. Sauf elle, elle ne ressemble pas du tout à sa mère française. Dans le bus, un homme lui reproche de l’éviter parce qu’il est noir.

« Mais Madame, dit-il, noir c’est la misère et vous, vous ne faites pas pitié. »

Pour un autre, elle serait égyptienne. Sommes-nous ce que les autres voient de nous ? « C’est un objet encombrant, une identité. » À force de questionner son entourage, de reproduire les recettes de sa grand-mère paternelle soigneusement transmise par sa mère, de participer à des conférences ou concerts, le souvenir d’Ima, sa grand-mère haïtienne, disparue lorsque la narratrice avait dix ans revient en force. 

« Ce qu’il y a de génial en nous, nous le lui devons. »

Haiti
Haiti. Crédit Photo : Unsplash/Patrice-s-Dorsainville

La narratrice part en Floride pour assister au mariage de sa cousine. Là, elle retrouve sa famille paternelle. Peut-être se sent-elle davantage à la maison ! Mais une fois de plus, arrêtée par des policiers de Miami, elle doit remplir un formulaire sur lequel on lui demande de cocher une case pour la race. Rien ne lui correspond. Elle est contrainte de cocher « Autre ». Décidément ces questions d’identité la poursuivent. Au summum de son questionnement, elle prend conscience que les réponses ne peuvent se trouver que sur la terre d’Haïti. Elle a tellement honte de n’y être jamais allée. Ce voyage, sur les ruines de sa grand-mère, ne peut que l’aider à trouver ses racines.

Laure Gouraige s’attaque à un sujet grave, personnel, même si elle est complètement à l’aise avec son identité. Pour cela, elle prend le biais de la légèreté, de l’ironie, de l’humour. La narratrice est une jeune fille moderne, un peu stressée, mais sans complexe. On partage son questionnement plutôt intelligent et ses aventures parfois farfelues. C’est un roman agréable à lire mais qui nous questionne sur un sujet grave. Et pour nous impliquer davantage, l’auteur choisit d’écrire ce texte à la seconde personne du pluriel. Ce « vous » est inquisiteur comme le regard des autres.

Cette volonté de jouer avec le style et de manier l’humour un peu corrosif à la manière de Thomas Bernhard ( 1931-1989), un auteur et dramaturge autrichien provocateur interpellera davantage les jeunes générations. Des générations de plus en plus concernées par ce questionnement sur l’identité. Et prendre ce phénomène avec humour est plutôt rassurant.

Les idées noires de Laure Gouraige publié chez P.O.L. en janvier 2022, 160 pages, Prix 17 euros, ISBN 978-2-8180-5439-0.

Laure Gouraige est née en 1988 à Paris. Diplômée de philosophie, elle a soutenu un mémoire sur Guillaume d’Ockham. Après La Fille du père (P.O.L., 2020), Les idées noires est son second roman. Il fait partie des cinq romans sélectionnés pour le Grand Prix RTL Lire 2022.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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