Avec ce premier roman traduit en français, l’écrivain italien Piergiorgio Pulixi nous emmène dans la Sardaigne ancestrale, celle des sacrifices rituels et des paysages merveilleux. Addictif et somptueux.
Le roman policier est un genre qui colle de plus en plus à l’état de la société. Avec ce premier roman édité en France, Pulixi confirme ce principe. Fini les policiers mâles, solitaires, en proie à des doutes existentiels, comme Lew Archer, Harry Hole et consorts. Place aux femmes flics, aussi tourmentées, mais porteuses d’autres qualités, d’autres défauts. Dans L’île des âmes, ce n’est même pas une policière qui enquête, mais deux agentes toutes deux cabossées par leurs vies personnelles et dézinguées dans leur vie professionnelle : la locale Mara Rais aux tailleurs impeccables et Eva Croce, la Milanaise au blouson de cuir et piercing.
Aussi différentes l’une que l’autre, écartées des enquêtes majeures par leur hiérarchie, elles vont devoir faire équipe, contre leur volonté, et rouvrir des cold-case. En théorie du moins, car des dossiers de 1961, 1975, 1989, vont revoir le jour, liés qu’ils sont avec un meurtre bien contemporain. Femmes flics, mais aussi meurtres rituels trouvant leur origine dans des mythologies locales nous renvoient immédiatement au pendant espagnol de Pulixi, les romans de Dolores Redondo dont le fameux Le gardien invisible (1).
C’est un reflet renversé du roman espagnol que nous avons le sentiment de lire. Quand Redondo évoque des mythologies basques, ce sont ici des croyances sardes qui expliquent peut-être des meurtres horribles accompagnés d’un rituel ancestral. Masques de carnaval, incisions graphiques sur le corps, peaux de mouton remplacent les peaux de loup. Les enquêtes renvoient à un passé lointain toujours présent chez certains habitants, éléments permanents culturels d’une société en mal de repères. Ainsi ces romans installent leur intrigue dans une région spécifique, décrite minutieusement, cherchant les tréfonds d’une culture dans ses rites païens, mais aussi dans ses paysages, ses odeurs, ses plantes, ses pierres.
Ici c’est la Sardaigne qui est le décor d’une enquête menée rondement où chaque court chapitre renvoie le lecteur à de nouvelles incertitudes. Après une mise en place assez lente, mais indispensable, le rythme s’accélère et d’allers-retours permanents, de personnages en personnages et de lieux en lieux, le lecteur est pris dans un tourbillon, les pièces posées sur l’échiquier dévoilant au gré de leur déplacement de nouvelles perspectives jusqu’à la conclusion inattendue. Le surnaturel côtoie le quotidien basique, les paysages paradisiaques et magnifiquement décrits de la Sardaigne deviennent parfois les lieux sacrificiels abominables. Très documentée, mais sans pédantisme, le récit baigne dans l’anthropologie, l’histoire, la religion et les croyances de la civilisation nuragique fondée sur le culte de la déesse mère, le dieu taureau et la nécessité de sacrifices humains pour ensemencer de son sang la terre. Un polar ne saurait aujourd’hui se limiter à une intrigue et Pulixi soigne particulièrement les personnages tant principaux que secondaires. On s’attache à ce vieux flic en fin de vie, hanté par ses meurtres anciens non résolus, on soupçonne chaque intervenant y compris au sein de la police et le duo Rais Croce, mérite une attention particulière.
Chacun porte en soi des blessures profondes, parfois irrémédiables, et il faut progresser dans la lecture pour en comprendre les raisons. Autant que la résolution de l’intrigue, la découverte du passé des intervenants pousse le lecteur dans ses derniers retranchements. Intrigue palpitante, personnages attachants, décors somptueux, avec ce roman les éditions Gallmeister débutent en fanfare dans le domaine du polar européen. À suivre.
L’Île des âmes de Piergiorgio Pulixi. Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux. Editions Gallmeister. 544 pages. 25,80€.
(1) Folio Policier N° 752.
Piergiorgio Pulixi est né en 1982 à Cagliari dans le sud de la Sardaigne. Il a été libraire avant de se consacrer à l’écriture. Après une expérience d’écriture collective de romans noirs, il s’est lancé dans une saga policière en 4 volumes, primée par le prix Glauco Felici et le prix Garfagna. Il est aussi l’auteur d’une série intitulée I canti del male (Les Chants du mal). L’Île des âmes est son dernier roman, publié en 2019 par Rizzoli, et le premier traduit en France.