La rencontre de l’autrice islandaise Audur Ava Olafsdottir en France permet de remettre à l’honneur son œuvre magistrale et notamment un de ses romans primés : Miss Islande. Un bijou à retrouver. Ou à découvrir.
L’ouverture d’une librairie « Les mondes de Zulma » par les éditions du même nom dans la petite commune de Veules les Roses, près de Dieppe, a remis à l’honneur l’autrice phare de la maison d’édition, Audur Ava Olafsdottir, venue d’Islande pour parrainer le nouveau lieu. Elle s’était révélée en 2010 avec Rosa Candida et depuis a conservé un public fidèle qui s’élargit à la parution de chaque nouveau roman. L’écrivaine est à l’image de son écriture: discrète, modeste mais aussi riche d’un humour froid qui cache les sentiments les plus profonds. Audur Ava Olafsdottir est islandaise et son œuvre aurait été différente, voire même inexistante, si elle n’était pas née dans cette île qu’elle considère comme isolée du monde, un peu comme une anomalie et dont elle parle souvent avec distance et ironie. Son roman Miss Islande, qui a obtenu le Prix Médicis Étranger en 2019, est le meilleur symbole de cet enracinement culturel sur une terre de volcans, de lave, de glacier.
Avec de tels paysages, un tel environnement, une telle Histoire, il est impossible d’écrire comme partout ailleurs. Portée par les sagas, les poètes, la littérature est omniprésente, dans les lumières estivales comme dans les tempêtes de neige, dans les bars à poètes de Reykjavik comme dans les fermes les plus reculées des fjords de l’ouest. Jusqu’en 1983, il n’y avait pas de télévision au mois de juillet, le mois des vacances où l’on passe du temps à l’extérieur, et jusqu’en 1987, il n’y avait pas de télévision les jeudis. C’est dans un temps encore plus reculé, nous sommes en 1963, que Hekla, comme le nom du volcan, quitte la ferme de ses parents et part en bus pour Reykjavik. Elle n’a qu’une ambition : devenir écrivaine. Elle ne vit que pour les mots, ceux qui disent la beauté du monde, ceux qui racontent l’histoire du monde. Ceux qui font vivre ou aident à vivre. Mais en 1963, lorsque l’on est belle et jeune, les hommes vous destinent à autre chose. À devenir Miss Islande par exemple. A paraître plus qu’à être. Sans violence mais avec détermination Hekla ne cédera jamais. Elle n’est pas seule dans son combat mutique mais indéfectible.
Jon John, son ami homosexuel qui prend la mer pour fuir la violence des hommes veut être styliste, couturier. Il veut broder le tissu quand Hekla souhaite coudre les mots entre eux. L’Islande est trop petite pour admettre les homosexuels. Il va voir ailleurs, voir si c’est mieux au-delà des côtes. Et il va déchanter.
Et puis on rencontre Isey, autre amie d’enfance, très jeune mère, engoncée, emprisonnée dans sa vie de couches-culottes, de foyer à entretenir. Elle aussi va élargir les murs de la maison avec des mots, des phrases saisies au vol, le jour ou la nuit, quand les rêves se mêlent à la réalité : des petits cahiers qui se multiplient et permettent aux pensées de s’envoler comme la cendre des volcans. « Une phrase vient à moi puis une autre, une image se dessine, cela fait tout une page, tout un chapitre qui se débat dans ma tête, pataud comme un phoque pris dans un filet. J’essaie d’accrocher mon regard à la lune par la lucarne, je demande aux phrases de s’en aller, je leur demande de rester, il faut que je me lève pour les écrire avant qu’elles s’évanouissent.”
Des femmes peuvent donc écrire, elles qui ne sont pas vraiment acceptées dans des bars, lieux réservés aux poètes et donc aux seuls hommes. Elles peuvent ainsi se réclamer de ce titre de, ce qualificatif que Hekla attribue, par cynisme ou par conviction, à son amoureux qui découvre bien vite que malgré sa masculinité, sa culture intégralement islandaise, la poésie peut être détenue ailleurs que sur son île et par des femmes.
Devant la terrasse de la librairie, quand elle répond aux questions des lecteurs, l’autrice esquive, sourit, prend son temps dans un français parfait. Elle ne se prononce jamais frontalement et préfère la métaphore, une image, une évocation. Elle écrit de la même manière : ses livres sont poétiques sans aucun vers. Ses romans sont féministes sans aucun slogan ni revendications appuyées. Ils vous transportent dans un monde unique et rare. Un monde capable de vous emmener les pieds dans le réel mais la tête dans les nuages. Avec un minimum d’effets, avec les mots de tous les jours, ceux qui vous disent les changements de saison, la neige dans la plaine ou l’amour sous la lucarne étoilée. Hekla avec sa robe couleur d’aurores boréales est comme un double de l’autrice qui part pour une destinée écrite par elle-même et non par les autres. La passion de la création littéraire est au cœur de ce texte magnifique mais s’accompagne d’un hymne à la beauté, aux sensations, à la nature, à la contemplation. Tout n’est que observation, tendresse, justesse.
Avec notamment l’écrivain Jon Kalman Stefansson, l’Islande possède deux joyaux de la littérature mondiale. Des joyaux porteurs d’une terre singulière où les traditions, les histoires d’hier, les éruptions de volcans ont forgé une littérature unique au monde. Unique, mais à la beauté universelle.
Miss Islande de Audur Ava Olafsdottir. Prix Médicis Étranger 2019. Éditions Zulma. 264 pages. 20,50€.
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Tous les livres de l’autrice islandaise sont disponibles aux Éditions Zulma.