C’est un plongeon dans le quotidien d’une femme follement amoureuse de son mari au point de l’espionner dans ses moindres gestes. Un premier roman dérangeant et détonnant.
Elle exaspère ou elle amuse. Elle est drôle ou bête. Cynique ou odieuse. À étrangler ou à serrer dans ses bras. À plaindre ou à maudire. Bref, vous l’aurez compris, la femme rousse qui est en couverture, la narratrice, (même si elle se fait colorer en « blond fatal ») qui se raconte, jour par jour, au cours d’une semaine a priori ordinaire, ne laisse pas indifférent. Elle est la Bree van de Kamp de la série Desperate Housewives avec qui elle ne partage pas seulement la couleur de chevelure. Elle détient aussi un peu du savoir-vivre de Nadine de Rothschild.
Voyez-vous cher(e)s ami(e)s lectrices et lecteurs, l’héroïne, prof d’anglais et traductrice, n’est pas une femme comme les autres. Elle clame haut et fort son originalité : elle aime son mari. Et pas depuis six mois, depuis un coup de foudre récent et incandescent. Non. Tenez vous bien : elle aime son mari depuis 15 ans, encore et toujours. Et même après la naissance de ses deux enfants. « J’aime mon mari » est son mantra, sa ligne de vie, de conduite, du matin où elle n’ouvre les volets de la chambre qu’au dernier moment pour ne pas le déranger, au soir où elle se couche comme lui avec le poignet replié et les palpitations dans le coeur.
Ce mari s’appelle « mon mari ». On ne connaitra rien de plus. Par contre on sait le prénom de son dernier amant : Adrien. Comme un signe. Son mari semble moins amoureux, ou moins démonstratif qu’elle. Il se contente de l’appeler « ma douce », laisse des pellicules « semblables à la chute des premières neiges » sur l’oreiller, lui dépose juste un petit bisou sur le coin des lèvres. C’est un homme bien élevé. Mais un jour il l’assimile, dans un jeu, à une clémentine. Ce fruit ordonné, protégé, d’automne alors qu’elle aurait pu être comparée à un ananas, estival et exotique !
Alors commence un espionnage de tous les gestes quotidiens de l’amour chéri, véritable autopsie de la vie de couple qui va de l’extinction de la télé au choix des chansons. Autant de moments révélateurs, ou non, d’un début de désamour. Ou ce qu’elle pense être un désamour.
Maud Ventura, dans ce premier roman très réussi, pousse les curseurs au maximum, ne faisant pas dans la demi-mesure, l’eau tiède ou la brume matinale. Elle va au scalpel désosser le quotidien d’un couple après tout, assez ordinaire. La narratrice est, comme on dit aujourd’hui, transfuge de classe, mais heureusement dit elle « (…) j’ai la beauté pour moi » et d’ajouter « si j’avais choisie d’être aimée plutôt que d’aimer, j’aurais sans doute été une meilleure mère (…) ».
Ainsi, on pourrait la qualifier d’Emma Bovary du XXIe siècle, car finalement ce qu’elle aime plus que tout, plus que son mari, c’est l’idée qu’elle se fait de l’Amour, cet amour qui transcende les sens comme les pensées. Alors elle agace un peu, beaucoup même et une semaine c’est long. Pourtant grâce à une plume précise, ironique, mais jamais drôle, la névrose est trop lourde pour en rire, Maud Ventura parvient à maintenir l’attention du lecteur séduit par une histoire originale et un traitement rare. On peut même se surprendre à guetter dans notre quotidien une réplique, une observation de « l’héroïne » qui passe au tamis de son idée fixe, la couleur de sa robe assortie à la colorisation de la journée ou la main retirée prématurément dans la rue. Peut-être avant les dernières pages, éprouverez vous aussi, comme la narratrice, des démangeaisons, sur les bras, les jambes, le ventre. Ne consultez pas. C’est normal. Attendez la fin du livre. l’épilogue peut-être. Et là seulement, si les grattements persistent, allez chez votre dermatologue. Ou chez votre libraire. C’est selon.
Mon Mari de Maud Ventura. Éditions de l’Iconoclaste. 358 pages. 19€. Paru le 19 août 2021.
Mon mari de Maud Ventura fait partie des 5 romans en lice pour le prix de Flore 2021 avec Grande couronne, de Salomé Kiner (Christian Bourgois), Wonder Landes d’Alexandre Labruffe (Verticales), Mobylette de Frédéric Ploussard (Héloïse d’Ormesson), Le voyant d’Etampes d’Abel Quentin (L’Observatoire).
Maud Ventura a vingt-huit ans et vit à Paris. Normalienne et diplômée d’HEC, elle rejoint France Inter juste après ses études. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef des podcasts dans un grand groupe de radios, NRJ. Elle ne cesse d’explorer la complexité du sentiment amoureux dans son podcast « Lalala » et dans son premier roman Mon mari. (biographie Éditions de l’Iconoclaste)