LA MOSQUÉE DE MON VOISIN, ENTRETIEN AVEC PHILIPPE BARON

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Rennes 2016. Une mosquée se construit dans le quartier du Blosne, lieu de résidence du documentariste Philippe Baron. Piqué par la curiosité, il entreprend de filmer le projet porté par l’association Avenir et ainsi apprendre à mieux connaître ses voisins. Il ne s’attend pas à ce que le tournage dure 3 ans. De cette aventure naît La Mosquée de mon voisin. Jeudi 25 septembre, au Triangle – Cité de la danse, l’heure est venue de la première projection publique du documentaire. Entretien avec le documentariste Philippe Baron. 

Unidivers – Dans le communiqué de presse de La Mosquée de mon voisin, il est précisé “Ce chantier lui permet de découvrir une communauté qu’il ne connaît pas et de tenter de dépasser ses craintes et ses préjugés“. De quelles craintes et de quels préjugés s’agissait-il ?

Philippe Baron – Le début du chantier a commencé peu de temps après les attentats de Charlie Hebdo (7 janvier 2015, Paris). J’avoue avoir ressenti une certaine appréhension à aller rencontrer des musulmans pratiquants, mais je me suis rapidement rendu compte que je ne connaissais rien à la culture musulmane – d’où l’envie de faire ce film. Le climat de cette période était anxiogène et les amalgames ont fait beaucoup de tort à toute une culture et religion. J’étais moi-même imprégné de cette représentation fortement négative de l’islam trop souvent véhiculée par les médias. Il y a quelques années l’Institut Montaigne a publié une étude sur l’Islam dans la presse française. Sur quarante-une publications consacrées au sujet de l’Islam, trente-neuf d’entre elles associaient cette religion au danger et à l’angoisse.

Mes préjugés envers la religion musulmane étaient aussi inconscients et dus à mon éducation catholique. J’avais tendance à transposer la religion musulmane sur la religion chrétienne. Pour moi, une mosquée était semblable à une église, un imam à un curé, etc. Je ne pense pas être le seul à méconnaître cette religion et à faire des musulmans un ensemble homogène, mais je me suis rendu compte du contraire. Ils sont très divers et subdivisés en une multitude de groupes.

la mosquee de mon voisin philippe baron

Unidivers – Après une brève introduction, un plan rapproché immerge le spectateur dans le vif du sujet dès les premières minutes, comme une manière de se placer du côté des acteurs du projet. Une plongée dans une expérience humaine en sus du suivi de la construction d’un édifice religieux.

Philippe Baron – C’est l’intention principale. J’ai rapidement eu envie de m’immerger avec cette communauté. Le choix des plans rapprochés permet d’être proche d’elle justement, d’observer les visages et expressions. Cela me paraissait le plus adapté à ce type de projet. Il s’agissait vraiment d’une rencontre entre mes voisins et moi. L’idée était de donner l’impression d’être assis autour de la table avec eux et de devenir acteur de l’histoire autant que spectateur.

L’association Avenir a fait appel à l’architecte Mickaël Tanguy pour la construction de la mosquée. Les adhérents lui ont fait confiance et, en tant qu’ami de Mickaël, il m’a été plus facile d’intégrer le projet. Ils m’ont rapidement autorisé à venir et à filmer la quasi totalité du chantier. Je pouvais assister aux réunions et à tous les autres moments importants avec une grande liberté. Au fil des mois et des années, un lien s’est créé. Je faisais un peu partie des murs (rires). Le fait qu’ils s’habituent à ma présence a permis une spontanéité et un naturel de leur part qui se ressent dans le documentaire.

Unidivers – De quelle manière les personnes qui participent ponctuellement à la construction de la mosquée ont-elles vécu le tournage qui a duré trois ans ? Notamment les scènes de culte, prières ou rupture du ramadan dans la pièce des femmes ?

Philippe Baron – Avec le temps, Idriss, Hassan, Khalid ne faisaient plus attention à moi, mais les personnes extérieures se demandaient qui était ce gars avec sa caméra et un ingénieur du son (rires). Le temps que l’on a passé avec eux légitimait notre présence. Certain.e.s ne voulaient pas être filmé.e.s. et nous respections ce choix.

Dans la culture musulmane, les femmes et les hommes sont parfois séparés dans des pièces différentes, notamment pendant les repas de fêtes. Les femmes se rassemblent dans une salle et les hommes dans une autre. Le documentaire montre le désaccord existant entre les générations, les plus jeunes souhaitent rassembler tout le monde dans une seule pièce et les plus anciens tiennent au contraire à cette tradition. La scène des femmes pendant la rupture du ramadan me paraissait de ce fait intéressante à conserver au montage et révélatrice de ce que j’ai vécu pendant le tournage. Forcément, certaines approches m’ont surpris et d’autres m’ont mis mal à l’aise, car elles ne correspondaient pas à mes habitudes et ma culture. Ces réalités devaient également être montrées et débattues.

« Le but n’est pas d’exclure, mais de rassembler », EXTRAIT de La Mosquée de mon voisin

Il faut savoir que La Mosquée de mon voisin dure 77 minutes et j’ai tourné plus d’une centaine d’heures. Il a fallu faire des choix au moment du montage. J’ai gardé ce qui me semblait le plus révélateur de mon expérience.

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Idriss Ibnourais et l’architecte Mickaël Tanguy

« Je me sens être humain et je me sens bien dans ma peau de Marocain comme dans ma peau de Français », Hassan Batil, extrait de La Mosquée de mon voisin .

Unidivers – Les deux protagonistes Idriss Ibnourais et Hassan Batil crèvent l’écran. En parallèle de l’avancée de la construction de la mosquée, vous dressez les portraits de deux hommes attachants, réfléchis, sensibles et motivés qui promeuvent une culture musulmane éclairée afin de casser les préjugés dont ils pensent pâtir. Quel a été votre ressenti face à ces deux personnalités ?

Philippe Baron – Dans certains documentaires, des castings sont organisés afin de choisir qui sera à l’écran, mais ce n’est pas le cas ici. Idriss et Hassan représentaient l’association Avenir et portaient le projet. Le courant est passé très rapidement.

Tout en étant différents l’un de l’autre, ils sont complémentaires. Hassan peut être sanguin et se mettre en colère alors qu’Idriss semble plus posé et toujours souriant. Le premier est né en France et connaît très bien le quartier du Blosne et Rennes. Le pays de ses parents lui rappelle plutôt les vacances alors qu’Idriss a vécu au Maroc et a fui le pays. Il n’était pas en accord avec certaines réalités : la corruption, le manque de liberté d’expression, etc. Il a choisi de venir en France, le pays de la liberté pour lui. Cette complémentarité dans leurs caractères se ressent au sein de l’association où ils occupent des places différentes : Hassan s’occupe de l’organisation des collectes de dons, Idriss vient tous les jours sur le site où il est un peu le chef de chantier. Il est à la fois chauffeur de bus, chef de chantier, artiste, professeur de dessin occasionnel pour les gamins du quartier, etc.

Hassan et Idriss ont transmis quelque chose à la caméra. Peut-être est-ce lié au temps que l’on a passé ensemble et à la sincérité avec laquelle ils ont partagé cette expérience.

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Hassan Batil

Unidivers – La construction de la mosquée ne plaît pas à tous les copropriétaires du lieu, l’un d’eux en particulier, dans le documentaire. N’avez-vous pas été tenté d’aller à la rencontre des voisins afin d’interroger leurs perceptions et points de vue ?

Philippe Baron – Je me suis posé la question, j’ai même hésité à le faire, mais j’ai préféré rester du côté de l’association, partager justement leur point de vue et leur perception. Inquiets des réactions, doivent-ils annoncer qu’il s’agit d’une mosquée ? De quelle manière cette information sera t-elle perçue ? Comment communiquer ? À quel moment ? L’annonce pourrait engendrer une mobilisation des voisins, mais s’ils ne l’annoncent pas, le risque est qu’on leur reproche ce non-dit, perçu alors comme information dissimulée. Rester de leur côté me semblait personnellement plus intéressant afin de suivre ces réactions et réflexions sur le sujet.

Si j’avais été voir les voisins, l’échange aurait été différent que celui mis en place avec l’équipe du chantier. Le degré de confiance, de sincérité et de familiarité aurait été tout autre. Leur parole se serait davantage apparentée à celle d’un micro-trottoir ou d’un journal télévisé et ce n’était pas ce que je recherchais. Je me suis aussi laissé guider par le titre du projet que j’ai trouvé assez tôt. La Mosquée de mon voisin signifie aller les voir en tant que voisin et non en tant que journaliste d’investigation. De la même manière que l’on rencontre un voisin, on enclenche la conversation en demandant l’avancée du chantier et elle dérive parfois sur tout autre chose comme le voile, les femmes, la peinture, l’actualité, etc.

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Unidivers – Le contenu de la foi et les différentes pratiques religieuses, notamment la prière et les sens qu’elle peut recouvrir pour un musulman, sont très peu présentés dans votre documentaire. Ne trouvez-vous pas que ce versant aurait pu enrichir votre projet et sa réception par les spectateurs ?

Philippe Baron – Tout est une question de dosage. J’ai opté pour de petites scènes sensibles que j’ai intégré au film avec parcimonie sans entrer dans des discours trop religieux. Comme le passage avec Idriss où je compare la prière à une méditation. L’intérêt de la scène était de montrer le plaisir qu’il en retire sans aller trop loin non plus. Au-delà de l’aspect purement religieux, il voit la prière comme un break dans la journée, un moment de bien-être où l’on ne pense plus au boulot. Une parenthèse où l’on se recentre et on pense à soi sans forcément dire que l’on rentre en relation avec Dieu.

Un autre moment magnifique autant d’un point de vue esthétique que musical : l’appel à la prière en plein milieu du chantier. Une scène courte, mais forte où une personne travaille sur l’électricité et, soudain, une autre lance un appel à la prière.

« C’est ça, exactement. [la prière] C’est une méditation. Dans les gestes de la prière, c’est comme si tu laissais tout derrière toi. C’est comme si tu avais fait une petite sieste. Tu te sens bien », Idriss Ibnourais. extrait de La Mosquée de mon voisin.

Unidivers – Le documentaire est ponctué de scènes de collectes de dons à la sortie des mosquées et de galas destinés à récolter des fonds. La mosquée du Blosne, d’un point de vue administratif, est dénommé Centre islamique Philippe Grenier. Cela la place-t-elle sous le régime des associations culturelles loi 1901 et non sous celui des associations religieuses loi 1905 ? Le cas échéant, les collectivités ont-elles contribué à son financement ? 

Philippe Baron – Je ne sais plus dans quelle proportion exactement, mais le centre a la double appartenance puisque dans le bâtiment se trouve une association culturelle et une association cultuelle. C’est avantageux, notamment au niveau fiscal, car en tant qu’association cultuelle, ils paient moins d’impôts. 

Les ressources financières du chantier de la mosquée étaient exclusivement des donations recueillies lors de collectes et de galas. La construction est privée, l’association est propriétaire du lieu qu’ils ont pu acheter grâce aux dons. Toutes les personnes présentes sur le chantier sont également bénévoles, donc la rénovation n’a rien coûté en main d’oeuvre. À cela s’ajoutent les dons en nature. 

« Pendant le confinement, ils ont interrompu les activités cultuelles, mais l’association a réalisé beaucoup d’actions caritatives. Ils distribuent notamment une centaine de repas tous les soirs à destination des migrants et étudiants dans le besoin du quartier du Blosne », Philippe Baron

la mosquee de mon voisin philippe

Facebook Centre Philippe Grenier

Site Association Avenir

 La Mosquée de mon voisin, 2020 – 1 h 20 

un film écrit et réalisé par Philippe Baron
production : Jean-François Le Corre & Sabine Jaffrennou
image : Emilien Bernard
montage : Suzana Pedro
prise de son : Vincent Pessogneaux, Patrick Rocher, Emmanuelle Sabouraud,
Pablo Salaün
montage son : Kevin Feildel / Thierry Compain
mixage : Christelle Louet / Thierry Compain
étalonnage : Pierre Bouchon / Didier Gohel
musique originale : Vincent Burlot


une production Vivement Lundi !
avec la participation de France Télévisions – France 3 Bretagne
et de TVR, Tébéo, TébéSud
avec le soutien de la Région Bretagne, du Centre national du cinéma et de l’image
animée – Fonds de Soutien à l’Audiovisuel et Fonds Images de la Diversité, du
Commissariat Général à l’Égalité des Territoires, de la Procirep et de l’Angoa

Le Triangle – Cité de la danse, 25 septembre 2020, 19 h 30. La projection sera suivie d’un échange avec l’équipe du film et les principaux protagonistes.

infos : 02 99 65 00 74 / contact@vivement-lundi.com

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