Netflix ? Un réseau qui diffuse, mais aussi produit, des séries plébiscitées par le public . En 5 ans, il a jeté un coup de pied dans la fourmilière assez plan-plan des networks américains (CBS, ABC, NBC et Fox). Le nom de cette société désormais roule chaque jour sur les lèvres des commentateurs de la high-tech et du cinéma dans les médias. Après avoir conquis les États-Unis et déjà quelques pays d’Europe, le service de VOD (Vidéo à la Demande) en streaming de Netflix devrait débouler en 2014 en France. Les négociations sont en cours avec le gouvernement. Une bonne affaire pour le consommateur ? Unidivers a enquêté pour vous.
VOD légale
En France, toutes les chaines de télévision proposent des offres de rattrapage (ou replay) et de la vidéo à la demande ou VOD. D’autres opérateurs proposent des offres de vidéo en téléchargement à l’unité ou en streaming (téléchargement progressif, au fur et à mesure du film).
En pratique, le marché a enregistré une croissance rapide depuis 2010, mais stagne depuis 2012. Pourquoi ? Faute de nouveautés et de compétitivité des offres. Au regard des services offerts par Netflix aux USA, il n’y a pas de concurrents qui proposent des abonnements mensuels avec téléchargement illimité. Il faut débourser entre 7 et 10 € pour des catalogues limités à maximum 4000 films et séries.
Chronologie des médias
En France, le DVD d’un film est autorisé à la vente 4 mois après sa sortie cinéma. Et il faut attendre 22 mois pour une diffusion à la télévision dans le seul cas où une chaine est coproductrice du film. Sinon, 36 mois sont nécessaires pour une vente en SVOD (VOD en en streaming). Autre pays, autre économie, autres mœurs : aux États-Unis, un minimum de 5 mois est requis pour que le film soit disponible en VOD.
Le cœur d’offre de Netflix
Cette entreprise propose à ses clients 11 000 programmes doublés par une offre de location de DVD par correspondance (qui aura tué de nombreux vidéoclubs) et des programmes dont il est producteur et qu’il diffuse à ce titre en exclusivité (nationale ou mondiale comme Better Caul Saul, nouvelle série dérivée de Breaking bad). En matière technique, le client accède aux offres VOD principalement par les modems, box, tv connectées ou portails des opérateurs ou des réseaux. Netflix a développé une offre qui embrasse tous les supports en offrant même de continuer à visionner sur son mobile un film commencé chez soi sur sa télévision.
Le poids international de Netflix
À ce jour, Netflix possède environ 46 millions de clients dans le monde, dont une bonne moitié aux États-Unis. Il est présent en Europe au Royaume-Uni, Pays-Bas et Suède et couvre 40 pays extraeuropéens. La société revendique 3,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour seulement… 2045 employés fixes.
En matière de contenu, l’offre est avant tout constituée de films et de séries américaines. Toutefois, chaque pays a le droit de diffuser des productions locales en marge des 11 000 titres américains de base. Pour l’heure, on compte 3000 titres de films non étasuniens en Grande-Bretagne et 1300 aux Pays-Bas. Des films d’auteur ? Des bijoux du 7e art européen et asiatique ? Que nenni ! Principalement des longs-métrages mineurs ou des films « Direct to vidéo » que l’on appelle poliment en France : série B ou Z.
Modèle français versus modèle américain
L’offre américaine coûte au minimum 8 dollars par mois, soit 6 €. Le client a alors accès à tout le catalogue (sachant que la VOD aux États-Unis représente 54 % du marché total de la vidéo). En France, qu’en est-il ? Les tarifs varient de 2 à 5 €… le film ! Aïe… Quant aux abonnements à plusieurs chaînes autorisant des replays, principalement chez Canal +, ils commencent au minimum à 20 €.
En prévision de cette arrivée et dans un souci de faire évoluer un modèle économique (cryptage) qui n’est plus viable, Canal plus vient de lancer Canal Play Infinity. Cette offre connait un prix d’appel à 10 € par mois (diffusion sur télé, ordinateur et ipad ) ou 7 € (sans télé) et propose 2000 films et 6000 épisodes et séries. Offre moins chère et quantitativement supérieure pour Netflix, offre plus chère mais adaptée au public français pour Canal+. Quid ?
L’atout de l’auto-production exclusive
La compétitivité de Netflix repose sur la rapide mise à disponibilité du public des séries américaines. Or, en France, les producteurs de séries ont négocié les diffusions avec les chaines de télé. Un élément qui joue contre la tactique de Netflix et sa stratégie de pénétration du marché. Toutefois, la firme américaine s’est mise à produire ses propres programmes, comme House of Cards, gonflant son catalogue et augmentant sa valeur ajoutée singulière. Or, tout le monde sait qu’il y a très largement plus de Français à regarder des séries américaines que des Américains à regarder les pitoyables séries françaises produites au pire par TF1 au moins pire par Canal+. Ce qui assure une position d’attaque confortable pour Netflix qui peut ensuite dealer chaque situation nationale au cas par cas. Verra-t-on dans quelques années des séries européennes, voire françaises, produites en partenariat avec Netflix ?…
En attendant, la situation de Canal+ et des producteurs de séries françaises peut paraître dangereuse. C’est oublier que la chronologie des médias en France impose une durée d’attente de 36 mois pour la SVOD – 3 ans (qui pourrait être réduit à 18 mois). De quoi optimiser la rentabilité en amont pour les producteurs. Mais il demeure un autre problème : une bonne partie des internautes français fans de séries se fournissent directement en téléchargeant des copies mises à disposition par d’autres.
L’ultime pierre d’achoppement : le partage de fichiers immédiat
Ils se fournissent directement en téléchargeant des copies mises à disposition par d’autres internautes. Pour ce faire, ils utilisent des logiciels Peer-to-Peer (P2P) comme mu-torrent (µtorrent) puis récupèrent les sous-titres dans la langue de leur choix. Avec le piteux échec d’Hadopi, les choses ne sont guère promises à changement. Certes, beaucoup affirment être prêts à débourser une enveloppe mensuelle comprise entre 3 à 6 € par mois pour un accès global au 7e art, soit moins que l’offre Netflix. Pour l’heure, un seul épisode de série coûte de 1 € à 2,5 € chez les concurrents.
Mais ne soyons pas dupe de ces promesses d’engagement, même sincères, la réalité est tendanciellement tout autre. Prenez un jeune Français de 20 ou 30 ans, fan de House of Cards, Homeland, Game of Thrones, Breaking Bad, Lost, Mad Men, Big Bang Theory, pour ne citer que ces réussites mondiales. Etant donné que toute série fonctionne sur l’instillation dans le spectateur de l’attente (peu ou prou auto-stressée) de l’épisode suivant, pourquoi donc ledit fan attendrait-il la diffusion française (soit dans plusieurs mois, voire un ou deux ans) au lieu de le télécharger en quelques minutes en VO sur internet le lendemain de sa diffusion à la télé américaine, avant de récupérer les sous-titres en anglais, voire en français ?
Gratuité et immédiateté versus forfait plus attente – il faudrait être aveugle comme l’est une bonne partie de nos soi-disant experts français pour ne pas deviner vers quel comportement penche naturellement la balance ! (A propos de balourdise des experts français, il faut lire le document humblement intitulé The Next 10 Years, récemment mis en ligne par le groupe France Télévisions sous la houlette d’Eric Scherer, directeur de la prospective – de quoi faire rire tout bon journaliste geek éclairé tant le niveau d’analyse est faible et les propositions sans imagination.)
Concurrence déloyale ?
Netflix a rencontré Aurélie Fillipetti et Fleur Pellerin récemment. La société envisage d’installer son siège au… Luxembourg. De quoi permettre un montage financier pour s’affranchir des impôts, taxées et autres redevances à l’instar des Google, Amazon, Apple ou Microsoft. Qui plus est, les promesses d’embauche restent faibles : la taille de la masse salariale de l’entreprise est ridiculement faible eu égard au poids économique et médiatique. De quoi faire grogner les concurrents de Netflix et les sociétés de production. D’autant plus que les diffuseurs français participent aux financements des films français. Netflix n’étant pas installé en France, il est évident qu’il entend autant que faire se peut se soustraire à cette obligation… La concurrence déloyale serait alors caractérisée. Ce point fait toujours l’objet de négociations entre Netflix et l’État français.
Neutralité du net et bande passante en danger
Récemment, SFR a proposé une offre « spéciale Youtube ». Elle consiste à offrir un accès illimité en 4G au site de vidéo en ligne. À celui-ci, donc pas aux autres. Un Fournisseur d’Accès à Internet (FAI) est-il fondé à privilégier l’accès à certains sites, autrement dit de désavantager les autres ? C’est un problème réel, sachant toutefois que, dans le sens contraire, le bridage existe déjà, notamment avec les newsgroups. Quant aux protocoles de P2P, ils sont filtrés et/ou surveillés.
Par ailleurs, la récente guerre entre Free et Google a mis en lumière la quantité de bande passante utilisée par certains sites gloutons ; ce qui met en danger la qualité globale du trafic. On peut comprendre que les FAI fassent grise mine : ils payent de leur poche des investissements continus afin d’accompagner l’augmentation du trafic mondial sans recevoir aucun dividende de ces sites gourmands que sont Youtube ou Daily Motion. Dans le cas de Netflix, c’est simple : ce réseau utilise jusqu’à la moitié de l’ensemble de la bande passante étasunienne aux heures de pointe ! D’où, aux États-Unis toujours, des FAI qui proposent des accès à internet très bon marché mais qui limitent l’utilisation soit à des sites gloutons comme Netflix ou Youtube soit aux autres. Inattendue segmentation customisée de l’usage d’internet.
Alors, la fin d’un monde ?
L’arrivée de Netflix ne sera certainement pas le Graal de la Vidéo comme beaucoup le pensaient. Le marché français est beaucoup plus verrouillé et frileux que d’autres dans le monde. Le succès de Netflix a subi d’ailleurs un ralentissement ces deux dernières années ; c’est une raison qui le pousse à investir l’international. La clé du problème repose dans les règles qui sont en cours de négociation avec les ministères concernés et les sociétés de production. Malheureusement, on ne peut que regretter le manque de pertinence et de vision des soi-disant experts gouvernementaux français en matière d’évolution des moyens et solutions de diffusion (aussi bien d’un point de vue de manque d’innovation technique, d’inadaptation de la règle de chronologie des médias comme de redistribution de la manne financière à la chaine des ayants droit). Aussi est-il fort à parier que les habitudes françaises en matière de consommation de films et de séries (qui ont muté depuis une bonne dizaine d’années) continuent à échapper à un encadrement intelligent et équitable qui reste à instaurer (à l’échelon européen).
Nicolas Roberti et Marie Darré
*
Netflix : le service de VOD déboule en France