Le quatrième ouvrage de Constance Debré, Offenses, vient de paraître aux Éditions Flammarion début février. Dans ce roman, l’autrice nous adresse un coup de poing littéraire en nous invitant à définir le bien et le mal.
C’est l’histoire d’un meurtre. Une vieille femme, seule et pauvre, est assassinée dans un petit F3. Nous l’apprenons page trois. L’assassin est découvert par la police au bout de six jours. Il est livré à nous lecteurs, plus rapidement : page sept exactement. C’est le fils du voisin du dessus. Il a 16 ans, il vit avec son bébé et sa copine chérie, chez son père. Il a tué pour 450 €, une dette de shit. C’est ainsi et tout est dit. Constance Debré nous a habitué avec ses trois romans précédents au sombre, au noir. Pas de polar pour autant car avec ces faits, sobrement et rapidement dictés, elle écrit un cri de révolte dans un texte court, percutant.
L’autrice de Love Me Tender quitte ici le domaine de l’autofiction et s’empare d’un fait divers inventé mais symbolique pour décrypter une société avec laquelle elle règle ses comptes. Longtemps avocate on retrouve ici, dans ces pages denses, le ton d’une plaidoirie. Comme avec les jurés d’une cour d’assises, Constance Debré s’adresse directement à nous lecteurs, hors du coup, protégés. Elle nous interpelle car si nous lisons ses lignes c’est que nous sommes déjà du bon côté de la barrière, ou plus exactement au bon étage, celui qui nous éloigne de la prison, des prises de risque. Nous ne pouvons qu’éviter la trappe d’un « monde vertical », composé de strates « disposées de façon concentrique et superposée ». Elle en a fait partie d’ailleurs de ce monde avant de vouloir le quitter et, d’une certaine manière, lui cracher à la figure.
Puisque nous sommes intouchables, au-dessus des contingences des moins bien lotis, c’est le point de vue de l’assassin qu’elle nous livre, lui qui à aucun moment ne se sauve, lui qui est le seul à parler avec affection de la victime et qui reste dans le salon du F3 paternel, juste au-dessus de la pièce où git le corps de la vieille dame. Il attend, sans crainte, sans haine, il attend que se déroulent des évènements prévisibles : une arrestation, des interrogatoires, la prison, un procès, le déroulement d’une pièce déjà écrite par d’autres, par les autres. Un scénario écrit et modifié pendant des siècles par le corps social. Jeune, l’assassin a déjà un passé, une histoire, une famille, des faits qui nous sont dits mais jamais utilisés comme excuses. C’est ainsi et semblable à tant d’autres histoires de vie, plus fréquentes il est vrai quand on habite « de petits immeubles construits dans les années soixante pas loin des barres d’immeubles qui datent de la même époque ». La société a tout prévu, ne vous inquiétez pas.
Apparait alors en filigrane du texte, qui ne fait appel à aucun effet de manche mais utilise, comme dans les ouvrages précédents, le scalpel en guise de plume, une vision du monde où il est bien difficile de cerner le bien et le mal. L’autrice n’explique pas, ne justifie pas, mais dit simplement. Si elle hurle, c’est lorsqu’il s’agit d’évoquer notre condition humaine, cette vie dont on peut se demander l’utilité pour nous humains, si moches et si minables, qui ne faisons que passer sur Terre pour survivre.
« Il suffit de voir comme c’est laid, les hommes les femmes les riches les pauvres, les horreurs que ça dit, que ça fait un homme ».
On peut penser qu’elle aurait aimé crier ce texte devant des juges, décrits semblables à des bouffons, acteurs de la « même mascarade » depuis Jeanne d’Arc. Le pessimisme est présent à chaque page, à chaque ligne. A quoi bon vivre dans la laideur ? Rien n’échappe à la médiocrité.
« Tout est abîmé. Tout est abîmé dès la naissance ensuite ça ne fait qu’empirer. Les choses, les êtres, tout est laid, il faut que vous le sachiez. »
Constat lucide sur notre condition humaine ou vision pessimiste du monde dans lequel nous tentons de survivre ? Responsabilité collective de nos échecs ou omission de nos responsabilités individuelles ? À chaque lecteur d’apporter sa réponse. On connait déjà celle de Constance Debré. Elle est contestable mais elle a le mérite d’interroger.
Offenses de Constance Debré. Éditions Flammarion. 2023. 122 pages. 17,50€.