Avec Partie italienne, Antoine Choplin nous invite à Rome pour suivre une partie d’échecs qui mènera les deux joueurs à confronter leur amour et leur fidélité au passé. Doux, poétique et surprenant.
Il est une photo célèbre: elle représente Marcel Duchamp jouant aux échecs avec une femme nue comme adversaire. Cette photo, d’ailleurs évoquée dans le roman, ressemble à une métaphore du texte d’Antoine Choplin. De jeu d’échecs, il en est beaucoup question au cours de ce texte bref et délicat. De désir aussi. D’amour beaucoup. Et d’Italie enfin, de Rome plus précisément. Cela tombe bien: « une partie italienne » c’est justement une ouverture classique de jeu d’échecs.
On est au début du printemps, place Campo de’Fiori. Un homme, Gaspar, artiste parisien plasticien reconnu, est assis à une table de café. Des joueurs inconnus s’installent en face de lui et perdent. Gaspar ne rêve que de profiter de la saison naissante. De Paris, une assistante le harcèle. Un jour, une silhouette féminine s’assied, elle s’appelle Marya, elle vient de Hongrie. Et elle gagne près de la statue de Giordano Bruno, un frère dominicain, scientifique et brûlé pour ses théories minoritaires, moine symbole de la liberté de pensée et de la supériorité de la raison sur la croyance.
Gaspar et Marya vont se revoir, jouer de nouveau, errer dans Rome, s’aimer et regarder de leur chambre un couple danser le tango, rendre visite à un vieux prêtre aveugle. On ne résume pas un roman d’Antoine Choplin qui passe avec une finesse rarement connue de thème en thème mais laisse au lecteur un goût doux et tendre de bonheur de vivre. On appelle cela parfois la poésie.
Quand interviennent des références à l’histoire, à la Seconde Guerre mondiale et à la Shoah, notamment lorsque Marya dévoile à Gaspar la raison principale de sa présence dans la capitale italienne, on pense au texte Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig, qui dénonce le nazisme triomphant lors d’une partie jouée au cours d’une croisière. Une manière de dire que derrière le déplacement d’un roi, d’une reine ou d’une tour, c’est plus qu’une partie ludique qui se joue.
Gaspar comme Marya ont en commun de ne pas renier le passé, pas le leur dont on ne sait presque rien, mais plutôt celui de l’Histoire d’un libre penseur ou d’un prisonnier d’un camp de concentration. Les échecs constituent alors un lien intemporel qui relie les Hommes aux Hommes.
Antoine Choplin crée de la poésie avec de la prose. Comme le déplacement d’une pièce sur l’échiquier, il place ses mots juste au-dessus du plateau, juste au-dessus de la vie et sans grands gestes, silencieusement, il nous fait avancer dans l’histoire et atteindre des sentiments forts : la mémoire, le souvenir, la fidélité, le désir, l’amour, la tendresse. On chemine avec le couple dans les rues de Rome, on frémit sous leurs caresses silencieuses qui deviennent parfois désir brutal. Le texte joue ainsi par séquences, par ruptures, avec nous, surpris de cette succession d’images qui s’empilent les unes sur les autres.
Le lecteur assidu de Choplin retrouvera là son goût des échecs, présents avec la musique et l’art dans chacun de ses ouvrages et sera interpellé par des références scientifiques rappelant la formation d’origine de l’auteur, mais une nouvelle fois il sera surpris par le non-dit, le silence qui laissera à chacun le loisir par exemple de mettre ses propres phrases sur les sentiments de Gaspar à l’égard de Marya. L’espace autour des mots de Choplin est large et presque infini, les situations sont décrites avec précisions, jamais les sentiments. L’écrivain joue avec nous, il nous tend des pistes, nous propose des mouvements, nous place sur la défensive, nous invite à réfléchir sur des mots qu’il tait, il nous laisse rêveurs au bord de la table et nous offre une seule solution: lui tendre la main non pour admettre notre défaite mais pour admirer son talent.