Rennes. The Land, de la terre promise à la sortie du campus

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À Rennes, le campus The Land traverse l’une des plus graves crises institutionnelles de son histoire.

Trois lycées agricoles privés, piliers historiques du projet, ont acté leur départ. Une « sécession » inédite qui fragilise l’équilibre d’un campus présenté depuis des années comme un laboratoire d’innovation pour la ruralité. Au cœur du conflit : la gouvernance, la place des lycées agricoles dans une structure devenue tentaculaire, et un malaise social profond qui n’a cessé de s’intensifier depuis 2022.

Créé pour fédérer sur un même site des lycées, des écoles supérieures, un incubateur et des acteurs économiques, The Land se voulait un écosystème de formation tourné vers l’agriculture, l’environnement, l’alimentation et la ruralité. Porté par son directeur général, Jean-Marc Esnault, le campus a connu une croissance fulgurante : extension immobilière, diversification des filières, résidence étudiante, montée en puissance des cursus post-bac.

Mais derrière l’image de modernité, les tensions se sont accumulées. Les trois lycées agricoles privés du groupe Antoine-de-Saint-Exupéry — socle historique de l’enseignement secondaire du campus — ont exprimé un malaise croissant face à ce qu’ils décrivent comme une perte de visibilité, de liberté pédagogique et une gouvernance jugée trop verticale. En mars 2024, une grève d’ampleur réunissant les lycées de Rennes, Vitré et La Guerche-de-Bretagne sonnait déjà l’alarme.

Un an plus tard, le couperet tombe. Le ministère de l’Agriculture, le CNEAP (réseau national des lycées agricoles privés) et le diocèse d’Ille-et-Vilaine actent officiellement la sortie des trois lycées du campus The Land. La décision est historique. Les trois établissements agricoles constituaient non seulement la base pédagogique de The Land, mais aussi l’identité même du projet. Leur départ laisse un campus amputé de son socle originel et accentue les interrogations sur l’avenir global du modèle.

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Les trois lycées qui partent

  • Lycée Saint-Exupéry – Rennes : formations de la 4ᵉ au BTS, filières agriculture, environnement, services.
  • Lycée agricole privé – Vitré : formations agricoles, alimentation, nutrition, services aux personnes.
  • Lycée agricole privé – La Guerche-de-Bretagne : filières agricoles et para-agricoles.

Les trois établissements restent des lycées agricoles privés catholiques sous contrat avec l’État, mais retrouvent désormais une totale autonomie institutionnelle hors du campus.

Ce que dénoncent les enseignants : invisibilisation, verticalité, perte de sens

Les témoignages recueillis durant la grève de 2024 puis dans les mois suivants dessinent un malaise profond. Les enseignants parlent d’un « divorce » avec la gouvernance du campus, accusée de centraliser la communication, d’étouffer l’identité des lycées et de privilégier les écoles supérieures, plus attractives économiquement. Une longue enquête de Splann!, média d’investigation breton, a amplifié ces critiques : invisibilisation des projets des lycées, décisions prises sans concertation, déficit financier préoccupant, sentiment d’être relégués dans un projet qui ne correspond plus au cœur de leur mission pédagogique.

Ce que dit l’enquête Splann!

  • Sentiment de déclassement : les enseignants disent ne plus avoir la main sur leur communication ; les lycées seraient peu mis en valeur dans les supports officiels.
  • Manque de transparence : inquiétudes sur les finances du campus et les investissements immobiliers.
  • Gouvernance verticale : décisions stratégiques annoncées en externe avant d’être discutées en interne.
  • Perte d’élèves : baisse des effectifs, notamment à Rennes, renforçant le sentiment d’un modèle en crise.
Jean-Marc Esnault
Jean-Marc Esnault, directeur de The Land

La défense du directeur, un projet ambitieux, mal compris

En réponse aux critiques, Jean-Marc Esnault affirme qu’il n’intervient pas dans la pédagogie des lycées, qui relève selon lui des directeurs d’établissement. Il reconnaît des « incompréhensions » liées à la transformation rapide du campus, mais revendique un bilan positif avec une croissance des effectifs, développement économique, attractivité accrue. Il défend un campus « hybride », pensé comme un écosystème d’innovation pour la ruralité, mêlant formation, entrepreneuriat et projets culturels. Ses soutiens estiment que la rupture est le résultat de résistances face au changement et à la professionnalisation progressive du secteur.

Une sécession encadrée par les autorités

La décision de séparation ne repose pas uniquement sur un conflit interne : elle a été arbitrée par le ministère de l’Agriculture, le CNEAP et le diocèse, qui ont considéré que la situation était devenue trop conflictuelle pour être surmontée dans le cadre actuel. Pour certains syndicats (CGT, CFDT), il s’agit d’une forme de « victoire », obtenue après deux ans de mobilisation. Reste désormais à savoir comment cette rupture sera mise en œuvre concrètement : statut des formations, continuité des classes, calendrier administratif, recomposition de la gouvernance… autant de points encore non éclaircis publiquement.

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Que devient The Land sans ses lycées agricoles ? Le campus conserve ses écoles supérieures, sa résidence étudiante, ses partenariats économiques, son ambition d’innovation territoriale. Mais la perte du socle secondaire agricole redessine profondément le projet : certains parlent d’un campus recentré sur le supérieur, d’autres doutent de la cohérence globale sans le lien historique avec les métiers agricoles.

Le chantier sera immense pour restaurer la confiance, clarifier le modèle économique et redéfinir une identité désormais orpheline de ses fondations. Une chose est certaine, l’avenir du campus, longtemps présenté comme un avant-poste de la ruralité de demain, s’écrit désormais dans un paysage fragmenté, où anciennes promesses et nouveaux doutes coexistent.