Rennes des écrivains #4, le Père Ubu d’Alfred Jarry est Rennais

Après Kerouac, Chateaubriand et Flaubert, voilà… Jarry. Euh non… Ubu ! Sur les traces d’un écrivain à Rennes, on rencontre forcément le créateur de la Pataphysique. Pourtant, il serait difficile de le consacrer grand écrivain de la ville… Enquête.

 

alfred jarryOn aimerait l’avoir, notre mascotte littéraire à Rennes. De fait, le boulevard Rimbaud – le Boulebaud, comme l’appelleraient les jeunes – ou la place Montaigne, c’est tout de même plus enchanteur que la rue de Nantes ou l’avenue Janvier. Certains – frustrés peut-être de ne pas comme à Paris croiser l’une de ces semi-divinités dénommées écrivains – s’inventent des rencontres. Il en va ainsi d’un témoignage lancé sur un obscur site internet qui narre la venue de Kerouac au comptoir du bar rennais Le Sympathic pour une soirée alcoolisée. Trop sûrement : Kerouac n’a jamais dépassé le quai de la gare de Rennes. Merdre ! N’y aurait-il que le père Ubu à être rennais ? Et Bécassine bretonne ? Parce que oui, son auteur Alfred Jarry n’est ni l’un ni l’autre. Il vient de Mayenne, c’est-à-dire un pays étranger à nos cœurs, à peine limitrophe. Étudiant au lycée Châteaubriand de Rennes en 1888, actuellement Zola – un jour peut-être lycée Jarry – le jeune Alfred chahutait en compagnie d’autres chahuteurs leur professeur de physique Félix-Frédéric Hébert. Père Hébert, père Heb, père Hébé, père Hébou. CQFD.

ubu jarryNon seulement on ne peut pas vraiment se vanter de ranger Jarry au panthéon de Rennes (allez quoi… une petite cabane au fond du parc Oberthür, sur la droite) mais en plus l’histoire comporte de sérieuses failles. D’une, parce que c’est pas beau d’être méchant ; et que le père Hébert il méritait peut-être pas de passer à la postérité sous les traits d’un vulgaire et grossier roi de Pologne scatophile. De deux, parce qu’apparemment, Jarry aurait « un peu » monopolisé l’idée de la pièce… Salut les copains, je m’en vais à Paris inventer la pataphysique et inspirer les surréalistes ! Résultat, Charles Morin, qui avait commencé à écrire la pièce à quatorze ans, a fini par devenir colonel dans l’armée. Après, comme le dit si bien Albert Thibaudet :

 

Et il y a cet autre fait, que sans Jarry nous ne connaîtrions pas Ubu, et si nous connaissons Ubu, si Ubu est devenu une œuvre d’art, et une œuvre célèbre, c’est que parmi les metteurs en scène de l’Ubu rennais, pendant que les autres choisissaient la vie de polytechnicien, de conservateur des hypothèques ou de marchand de bois, il y en avait un qui choisissait la vie d’artiste.

ubu rennesPas bête… D’ailleurs, cela n’enlève rien à cette œuvre et ce personnage magnifiques. Le père Hébert, dans lequel Jarry voyait « tout le grotesque du monde », est la seule chose dans l’affaire Ubu dont Rennes peut se prévaloir. En somme, si Hébert et son double Ubu sont rennais, alors notre ville posséderait une mascotte littéraire trouble : conservateur, antidreyfusard ; l’homme n’était pas non plus reconnu pour son autorité ou son charisme.

ubu tnb

Cela n’empêchera pas Rennes de s’en prévaloir : une salle de spectacle célèbre porte le nom du personnage, une allée Alfred Jarry derrière les Horizons, une salle de cours à l’Université Rennes 2. La salle de concert porte d’ailleurs comme logo la Gidouille du père Ubu, spirale ubuesque représentée sur son ventre.

Le cycle théâtral Ubu a toujours été en gestation. Et sa genèse commence dans un univers scolaire potache, dont l’œuvre a conservé la marque. Il faut imaginer Jarry et les frères Morin dans leur grenier, jouant Les Polonais, un spectacle de marionnettes. Puis l’autre version, selon Paul Léautaud, représentée « en famille chez la mère de Jarry, laquelle a confectionné elle-même le chapeau de la marionnette d’Ubu ». Au-delà des pièces cultes qui suivront – citons Ubu roi en 1896, puis Ubu cocu ou encore Ubu enchaîné – on assiste dans ce petit theatrum mundi rennais à l’idée d’une littérature plurielle et polyphonique. Avec ces reconnus, ces oubliés, ces faussaires, ces génies, ces bouffons… Ubu, comme toutes les grandes œuvres, appartient au monde entier.

Dans le prochain épisode, nous retrouverons un autre grand bougon de la littérature mondiale. Où Rennes rime alors avec tuberculose…

Alfred Jarry est un poète, romancier, dramaturge et dessinateur français, célèbre pour son cycle sur le roi Ubu. Né à Laval en 1873, il est mort à Paris en 1907. Après avoir étudié à Saint-Brieuc puis à Rennes, il monte à Paris où il est notamment l’élève de Bergson et le condisciple de Thibaudet. La première d’Ubu roi au Théâtre de l’œuvre en 1896 crée le scandale. Suivront d’autres publications sur Ubu, Ubu cocu (1897), Ubu enchaîné (1899) ou encore Ubu sur la butte (1906). On lui doit l’invention de la Pataphysique. Il connaîtra une grande postérité, notamment auprès des surréalistes ou du théâtre de l’absurde.

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