L’artiste rennaise Odoneila sort son double single Obsessions, ce vendredi 26 juillet 2024. Les deux titres parlent de la séduction : « Temimi » de façon solaire et sexy et « Obsessions », le revers de la médaille de cette séduction pour elle. L’artiste avait donné sa première interview à Unidivers pour la sortie de son premier EP, Americanah, en avril 2024. À mi-chemin entre rap alternatif et french urban pop, il était une entrée dans son univers éclectique et singulier avec six titres. Coup de coeur Unidivers.
Odoneila a 25 ans. L’artiste rennaise, née à Majunga à Madagascar, arrive en France à l’âge de deux ans. Il y a près d’un an, Odoneila s’intéresse à la musique, notamment avec Pierre Bouilleau, guitariste et producteur rennais (The Erikson project). L’artiste « libre en musique et [qui fait] ce qui [lui] plaît en piochant dans les différents codes (rock, pop, soul) », travaille une musique qui reflète au plus près ses émotions. En collaboration avec la photographe @neolcgi pour la création visuelle de son projet, Odoneila propose un univers esthétique fort où elle s’exprime à travers des nouvelles modes qu’elle invente.
La genèse de ce projet musical commence en août 2023, lorsque Odoneila part en vacances avec des amies avec lesquelles elles ont fondé le collectif Marron, un groupe de femmes qu’elle a rencontré lors de la pièce de théâtre Carte noire nommée désire de Rebecca Chaillon. La pièce traite notamment la question de l’afrodescence et de l’héritage des traumatismes dus aux discriminations. Suite à cela, elles projettent de réunir des femmes afro descendantes pour en parler de façon intime avec des personnes concernées. Pendant ces vacances entre amies, Odoneila lit Americanah de Chimanda Ngozi Adichie, acheté à 17 ans à Biarritz, qui raconte l’histoire d’Ifemelu, une jeune fille originaire du Nigéria, qui part aux États-Unis pour ses études. Les récits de vie de ses amies, celle d’Ifemelu, de ses parents et de sa tante ont alors résonné en la chanteuse. L’EP est née de ces histoires communes : son père qui apparaît d’ailleurs dans la première track.
« Depuis petite, j’ai la sensation d’avoir besoin de raconter mon histoire quant au fait d’être une femme noire immigrée en France. »
Unidivers – Comment avez-vous commencé la musique ?
Odoneila – J’ai toujours aimé chanter puis j’ai rencontré Pierre Bouilleau, musicien depuis plus de 10 ans. De base, il est guitariste et vient du jazz, il a aussi d’autres projets musicaux, dont The Erikson Project. Il avait déjà enregistré d’autres personnes et m’a poussée à me lancer sérieusement d’abord durant l’été 2022. Il m’avait proposé des productions, mais je n’étais pas du tout dans l’état d’esprit d’enregistrer à ce moment-là, j’étais gênée. J’ai finalement enregistré mon premier titre en décembre 2022, il n’a rien a voir avec Americanah, c’était plutôt le début, le moment où j’ai commencé à assumer de faire de la musique sérieusement.
Unidivers – Quels sont les artistes que vous aimez écouter ? Vous influencent-ils dans vos créations ?
Odoneila – Je suis fan de la bande de Bon Gamin avec Bonnie Banane, Myth Syzer, Ichon, etc. J’adore aussi Rihanna et Beyoncé. Je suis forcément influencée par ces artistes, ce sont leurs musiques que j’écoute alors il y a des mécanismes que j’ai récupérés. Plusieurs personnes à l’écoute de l’EP m’ont dit qu’il y avait un peu quelque chose de Bonnie Banane dans ma musique. Ça m’a vraiment touché, car elle m’inspire tellement.
Ce que je voulais faire à la base, c’était de reproduire un peu le style de Beyoncé [rires]. Je me suis inspirée des vocalises et des différentes voix en arrière plan qu’elle met dans ses musiques dans son album « BEYONCÉ [platinum] ».
Unidivers – Parlez-moi de la composition, comment avez-vous travaillé cet aspect ?
Odoneila – Le style musical est une collaboration avec Pierre Bouilleau. C’est mélange de nos goûts musicaux du moment, un assemblage de ce que chacun de nous aime dans la musique. Le style dépend vraiment de lui, ça n’aurait ressemblé en rien à ce qui est sorti sans Pierre, j’aime beaucoup ce qu’il fait.
Unidivers – Les transitions sont particulièrement travaillées, la fin d’une musique correspond au début de la suivante en termes de rythmique, pourquoi avoir choisi de présenter l’EP de cette manière ?
Odoneila – Parce qu’il s’agit d’une histoire : A Short Story by Odoneila. Je voulais qu’il y ait un sens, comme si chaque musique correspondait à une page, quand on en tourne une, on passe à la suivante, mais elles sont toutes reliées.
Unidivers – Le titre de l’EP, Americanah, est tiré du livre de Chimanda Ngozi Adichie. En quoi cette histoire résonne en vous ?
Odoneila – Americanah [le livre], c’est l’histoire d’Ifemelu qui migre aux États-Unis, mais c’est aussi l’histoire de ma famille et la mienne. Dans l’introduction de l’EP, « Departure », j’ai ajouté le témoignage de mon père sur une composition. Il a grandi à Madagascar et a obtenu une bourse d’études pour la France. De mon côté, j’ai été déracinée assez tôt de Madagascar et j’ai immédiatement subi du racisme en France. L’histoire que je raconte dans l’EP est racontée par le prisme d’Americanah [surnom du personnage principal], mais il s’agit de mon propre vécu, mon histoire aussi.
Unidivers – Deux de vos chansons, « Liss’Washer » et « Pp » évoquent la coiffure. Pensez-vous que cette spécificité joue beaucoup dans le racisme envers les personnes noires en France et en occident ?
Odoneila – Je ne sais pas si beaucoup de racisme vient des cheveux afro, mais ça en fait complètement partie. Je ne pense pas qu’une seule personne noire puisse dire que personne n’a jamais voulu toucher ses cheveux ou que personne ne lui a jamais dit que ses cheveux étaient bizarres et marrants. Ca fait partie du quotidien des noirs en France.
Unidivers – Comment en parlez-vous dans ces deux musiques ?
Odoneila – « Liss’washer » est une fausse publicité pour une crème qui rend les cheveux lisses, une satire de la société française et occidentale. Je me souviens enfant que ma mère se défrisait les cheveux et que je voulais absolument faire la même chose. Avoir les cheveux lisses était une obsession, et c’est une histoire commune à toutes les petites filles noires. Plus tard, vers le lycée, je me suis rendue compte que c’était un peu absurde tous ces standards capillaires. Je chante « Liss’washer pour plus de bonheur » alors qu’en réalité ça n’apporte que du négatif. Ça a engendré des alopécies chez beaucoup de personnes, il y a des risques de cancer, etc.
Dans « Pp » je dénonce les difficultés à trouver un coiffeur pour mes cheveux en France. Je parle aussi de ma découverte des tresses, une coiffure qui a fini par devenir stylée en Occident, Kim Kardashian a notamment contribué à rendre cette coiffure à la mode. Je trouve ça dommage qu’on retienne son nom pour désigner l’héritage des coiffures venant du continent Africain. Il est important de l’honorer, et de le glorifier pour qu’on puisse se réapproprier notre histoire. Je voulais mettre en évidence le fait que cette coiffure est un héritage des personnes noires, je souhaitais lui rendre hommage. C’est une fierté, une manière de dire qu’il faut assumer ses cheveux et de dire qu’on a de la chance d’avoir un million de possiblités de coiffures.
Unidivers – Quel est votre processus d’écriture ?
Odoneila – Pierre a fait les compositions un jour avant que je commence l’écriture. Certaines choses ont changé ensuite, « Rokessa » [dernière musique de l’EP] n’existait pas avant décembre [2023] par exemple. Je ne peux pas vraiment parler d’un processus d’écriture, le livre était tout frais dans ma tête et je savais depuis le début que je voulais écrire la chanson « Christopher », tout était écrit en un après-midi. À un moment, j’écrivais tous les jours, dès que j’étais inspirée, je faisais une note dans mon téléphone.
Unidivers – De quoi parle le titre « CHRISTOPHER » justement ?
Odoneila – « CHRISTOPHER » parle de la solitude que j’ai ressenti à mon arrivée en France, ce qui fait toujours écho au livre de Chimamanda Ngozi Adichie. Christopher a vraiment existé dans ma vie d’enfant. Je venais d’arriver en France et j’étais très timide à cause du fait que je me sentais différente car j’étais la seule noire de mon école. Mais quand on est enfant parfois l’innocence nous aide à perdre cette timidité, donc j’ai fini par me lancer en allant voir des filles de ma classe en maternelle. Elles m’avaient immédiatement rejeté et insultée par rapport au fait que je sois noire. Christopher était intervenu, c’était un gamin à lunettes avec un pansement sur l’oeil, et j’ai admiré son courage. Je l’ai idéalisé pendant longtemps, j’ai même appelé ma poupée Christopher parce que, comme je le dis dans ma musique, « ma poupée s’appelle Christopher, ma poupée n’a pas peur ». Cette chanson est à la fois un hommage et des remerciements à ce petit garçon hyper courageux, et une manière de raconter la première agression raciste que j’ai vécu.
Unidivers – Vous terminez l’EP par le titre « Rokessa », même question, de quoi parle-t-il ?
Odoneila – « Rokessa » est une musique de rédemption par rapport à tout ce que j’ai vécu dans ma vie, le racisme notamment, les violences et la solitude. Je reviens sur le fait que malgré tout j’arrive à m’en sortir et à « rokessa » (rires). Il faut écouter pour comprendre.
Unidivers – Quelle est la suite pour vous ?
Odoneila – Je fais actuellement partie du dispositif Playground proposé par l’Antipode, il consiste à réunir des rappeurs rennais pour faire un groupe. Ils nous ont proposé de nous produire en concert le 3 mai, on fera chacun une chanson. Normalement je dois aussi jouer dans un festival à Rennes en juin, mais je peux pas en dire plus. J’ai aussi demandé une bourse FRIJ [Fonds Rennais d’initiatives jeunes] pour organiser une release party. Je voudrais présenter les musiques d’ Americanah, mais aussi faire un co-plateau avec d’autres artistes rennais pour nous donner de la visibilité.
Sinon j’ai déjà tout un plan pour les prochaines sorties, on est encore au stade de la maquette, mais nous avons déjà le squelette bien abouti du prochain album. Je pense qu’il ne sortira qu’en 2025, je veux qu’Americanah ait du temps pour se faire connaître et vivre un peu avant de sortir autre chose.
Unidivers – Merci, Odoneila.
EP Americanah d’Odoneila, sortie le 12 avril 2024. Production musicale : Pierre Bouilleau. Mixage et mastering : David Talbot. Visuels : Amé @neolcgi.
Double single Obsessions, sortie le 26 juillet 2024.
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