Si l’on se réfère au vieux livret à l’aspect défraîchi sorti de nos archives, le mercredi 27 novembre 1996 à 20h30 fut la dernière représentation du Rigoletto de Verdi donnée à Rennes. Bien du temps a passé et de Daniel Bizeray à Alain Surrans c’est la même passion exigeante pour l’opéra qui nous permet d’entendre à nouveau cette œuvre majeure du maître Italien.
Opéra dit « seria » en trois actes bâti sur un livret de Francesco Maria Piave, Rigoletto est largement inspiré du livre de Victor Hugo « Le roi s’amuse ».
O rage ! être bouffon ! ô rage être difforme !
Toujours cette pensée ! Et, qu’on veille ou qu’on dorme,
Quand du monde en rêvant vous avez fait le tour !
Retombez sur ceci : je suis bouffon de cour.
( Le roi s’amuse, Triboulet, acte II, scène I)
Le thème de l’histoire est celui d’un bouffon, souvent cruel et à la langue bien pendue qui à force de compromissions avec les courtisans perd son âme et voit ses mauvais procédés se retourner contre lui. La seule personne digne de son respect et de son amour, Gilda, sa fille, est enlevée et déshonorée par le duc de Mantoue.
S’en suivront de nombreuses mésaventures qui termineront par la tragique mort de la jeune fille, sacrifiée sur l’autel d’un amour sans réciproque.
Bien sûr, derrière ces personnages de théâtre se profilent d’autres réalités qui valurent à Victor Hugo l’interdiction de faire jouer cette pièce après sa première représentation en 1832, par bonheur, il n’en fut pas de même pour l’opéra de Verdi.
Le rideau en s’ouvrant découvre une scène de fête des plus galantes qui n’est pas sans rappeler celle de Traviatta , Rigoletto et le duc trament avec les courtisans l’enlèvement d’une épouse.Luciano Botelho, le ténor brésilien titulaire du rôle du duc de Mantoue démontre sans tarder de réelles qualités vocales et impose un personnage de belle prestance. Il ne sera pas démenti par Victor Torres, baryton d’origine argentine qui plante un Rigoletto plus vrai que nature grâce à une voix puissante et une expérience évidente donnant toute sa dimension théâtrale au personnage.
C’est sans doute le trait que l’on retiendra le plus de cette représentation, l’importance donnée au côté théâtral de l’œuvre de Verdi, il y était lui-même très attaché, et lorsqu’on le félicitait il n’hésitait pas à dire « laissez-moi tranquille avec ma musique, je suis avant tout un homme de théâtre. »
L’agréable mise en scène de Jean-Louis Grinda, sobre et efficace, sans excès et sans artifices, se met au service de l’œuvre. Le décor un peu lourd et manquant un doigt de fantaisie sur les deux premiers actes se rattrape largement sur le troisième et la cabane sur pilotis, demeure du sombre Sparafuccile, sur fond de ciel crépusculaire, est une véritable trouvaille.
Les costumes de Rudy Sabounghi répondent parfaitement à l’époque et à l’ambiance, ils donnent au groupe des courtisans une élégance qui rejaillit sur toute la mise en scène.
Le premier choc musical, c’est pourtant à un personnage plus secondaire que nous l’accorderons, et le comte de Monterone, interprété magistralement par Ugo Rabec donne un véritable sens à l’expression « intensité dramatique ». La stature imposante du bonhomme et la puissance de sa voix nous laissent imaginer quel splendide statue du commandeur il serait dans Don Giovanni.
À propos de voix grave et d’intensité dramatique, il serait injuste de ne pas adresser tous nos compliments au remarquable Baryton basse biélorusse Anatoli Sivko. Il incarne avec talent le personnage du tueur à gages Sparafuccile et malgré sa relative jeunesse, donne par son sens du théâtre une véritable densité à son personnage. Au moment des applaudissements le public rennais ne s’y est pas trompé et l’a remercié d’une ovation largement méritée.
Il semble donc que tous les rôles-titres aient trouvé des interprètes à leur mesure, alors « quid » de Gilda , la fille de Rigoletto. C’est Marianne Lambert, soprano québécoise qui éclairera pour cette soirée la scène rennaise de sa délicate présence. Si sa voix n’a pas encore toute la puissance souhaitée pour ce rôle, son interprétation est intelligente et sensible. Elle incarne Gilda, cette enfant douce et naïve préservée du monde extérieur par un père solitaire et possessif.
Dans les moments de particulière émotion, Marianne Lambert nous entraîne dans les tourments, les peines et les espoirs de son personnage, ses mezza-voce sont parfaits et sa voix cristalline nous laissent émus et silencieux.
Que d’amour…que de soins !
Que craignez vous mon père ?
Là-haut dans le ciel près de Dieu,
Veille un ange protecteur…
Comment ne pas être bouleversé par cette innocente prière d‘enfant, surtout lorsqu’elle est aussi bien chantée.
D’une manière générale, la qualité des voix est une constante de cette production de l’opéra de Monte-Carlo et les seconds rôles n’y font pas exception, Laura Brioli campe le rôle de Maddalena avec autorité, Karine Ohanian pour l’occasion Giovanna est une mezzo-soprano convaincante, quant au trio des courtisans interprété par Philippe Nicolas-Martin, Vincent Delhoume, et notre chouchou le baryton Rennais Jean-Vincent Blot, ils sont complètement dans le ton.
Il est juste de ne pas oublier dans nos prières l’OSB, pour l’occasion dirigé par Sacha Götzel, hôte habituel de la Bretagne, puisqu’il nous avait entraînés, en janvier 2013, dans un voyage viennois. Comme d’habitude, notre orchestre a semblé très à l’aise avec la partition de Verdi et nous a offert un écrin musical d’excellente qualité. Les effectifs un peu renforcés ont permis d’offrir au public une sonorité pleine et généreuse tout à fait en adéquation avec l’esprit de l’œuvre.
Bien entendu, c’est avec une certaine impatience que l’auditoire attendait au troisième acte l’air fameux « la dona e mobile » connu dans le monde entier et que l’assistance ne put s’empêcher de fredonner en même temps que Luciano Botelho. Le ténor brésilien s’en est sorti honorablement, mais il est clair que dans la dernière note tenue et assez aiguë, il avait atteint les limites de ses possibilités et entrait dans une zone « à risque ».
En conclusion, nous avons passé une très bonne soirée à l’opéra de Rennes et l’indice le plus satisfaisant est l’envie qui est la nôtre de profiter, si cela est possible, d’une des deux prochaines représentations. Notre opéra Breton nous a encore cette année offert une belle saison et l’a conclu de manière magistrale.
Soucieux de vous informer au mieux sur la vie lyrique à Rennes, nous serons présents à la conférence de presse que donneront Alain Surrans et son équipe le 18 juin et bien entendu, nous ne manquerons pas de vous tenir informés de cette nouvelle programmation… des bruits circulent, des surprises nous attendent… Faites-en autant et patientez au moins, jusqu’au 19…
MAI
MERCREDI 28, 20h VENDREDI 30, 20h
JUIN
DIMANCHE 1ER, 16h – MARDI 3, 20h – JEUDI 5, 20h
Direction musicale Sasha Goetzel
Mise en scène Jean-louis Grinda
Décors et costumes Rudy Sabounghi
Lumières Laurent Castaingt
Orchestre Symphonique de Bretagne
(Direction Gildas Pungier)
Choeur de l’Opéra de Rennes
Le Duc de Mantoue Luciano Botelho
Rigoletto Victor Torres
Gilda Marianne Lambert
Sparafuccile Anatoli Sivko
Maddalena Laura Brioli
Giovanna Karine Ohanyan
Le Comte de Monterrone Ugo Rabec
Marullo Philippe-Nicolas Martin
Le page Brenda Poupard
Production de l’Opéra de Monte-Carlo, costumes de l’Opéra National de Lyon