Roubaix 70’s, itinéraire d’un flic ordinaire par Luc Watteau

Immersion dans le quotidien d’un flic de terrain. Au fil des affaires locales se dessine, brutale et touchante, la réalité d’un commissariat à Roubaix dans les années soixante-dix. Deux, trois, parfois dix plaintes par jour : cambriolages, recel, escroqueries diverses… Si vous aimez suivre la vie de la police de proximité, si vous voulez découvrir le quotidien de leur métier, les faits auxquels les flics sont confrontés, si vous désirez côtoyer avec eux quelques malfrats et sillonner les quartiers pour découvrir des indices, interroger la population locale, en découdre parfois avec vos poings, ce roman est pour vous !

Nous plongeons ici dans un commissariat roubaisien, sur les basques de Franck Malmaison, jeune flic de 25 ans affecté au 1er commissariat de Roubaix depuis quelques années. Roubaix, vous connaissez de nom et de réputation ? Roubaix, comme le disait si bien Galabru dans Bienvenue chez les Chtis, c’est « Le Nooooord », c’est-à-dire le quart-monde, la misère, la violence et la galère…

Franck est le personnage principal de cette histoire, mais aussi le narrateur, et le roman se déroule donc au présent, et en « je ». Nous découvrons le travail de flic au quotidien, la paperasse infernale et les heures à taper des rapports à la machine (que personne ne lira, et dans un jargon alambiqué surréaliste), la bureaucratie stupide, les collègues, les voleurs à la tire pas bien méchants, les méchants qui tuent sans faire exprès, et les très méchants qui eux, font des horreurs…

Justement, la petite Sandrine Vernier, 10 ans, vient de disparaître et Franck se met en chasse pour tenter de la retrouver avant qu’il ne lui arrive malheur…

Le roman est très intéressant pour découvrir ce métier dont nous ne connaissons que la facette extérieure. Et l’auteur, qui a été flic pendant de longues années, sait de quoi il parle ! J’ai beaucoup aimé la ténacité de ces flics de quartier qui ont envie de faire bien leur métier malgré le fait qu’on leur mette des bâtons dans les roues (l’administration, toujours !), malgré leur mauvaise réputation, malgré la lassitude de se dire que pour une personne arrêtée, 10 recommenceront le lendemain, puisque la plupart des plaintes sont sans suite… ça sent le vécu à plein nez, et d’ailleurs Franck Tilliez le dit bien dans la préface :

« L’auteur, Luc Watteau, est un ancien policier. C’est une évidence à la lecture de ces pages. Mais il n’y a ni glorification, ni dénigrement, ni message. Juste une réalité, brute et sans fioritures ni tentative d’enjoliver. Les policiers de ce livre sont décrits avec leurs qualités, mais aussi leurs défauts, leurs failles, leurs doutes. Ce ne sont pas des surhommes. Juste des hommes qui font leur métier, certains avec passion, d’autres avec lassitude. Comme partout, comme depuis toujours. Ce roman n’est pas un simple roman policier. C’est un roman de policiers. »

Passionnant, donc. Mais aussi terriblement navrant… Explication :

Nous y voyons les flics par le bout de la lorgnette, comme si nous y étions, et même si c’est un roman, nous savons puisque l’auteur lui-même l’a « avoué » que ses personnages sont tirés de la réalité, de ses souvenirs, des rencontres qu’il a faites au long de sa carrière. Ils s’expriment dans leur langage fleuri, à moitié argotique et j’ai d’ailleurs découvert plusieurs expressions que je n’avais jamais entendues ! Savez-vous ce que veut dire « avoir de la jaffe plein le clapoir » ? On dirait du San Antonio, non ? Bref, beaucoup d’argot, de gros mots, de propos assez vulgaires qui certes, rendent compte de la réalité, mais pour ma part ne sont pas très agréables à lire… (j’fais ma snob !).

Cet argot est cependant parfois bien amusant, et surtout, cela montre les personnages dans leur quotidien, naturels. Le roman pourrait facilement devenir un film, tant il est « visuel » : on imagine très bien les situations, on croit entendre les dialogues, et parfois, on se régale… Un petit exemple, parmi tant d’autres : L’inspecteur classe ses témoins selon des critères tout personnels, comme la voisine de la petite Sandrine qui est « aguichante avec sa manière de rouler de la couscoussière en se déplaçant (et qui) doit être une bonne chaudasse ». Et effectivement, la brave dame un tantinet allumeuse demande s’il est « exact que les gens de la police soient fortement portés sur la chose ».

J’ai un peu plus de mal avec l’humour que je trouve un tantinet lourdingue (mais conforme au milieu et au personnage), quand je lis ensuite : « Elle s’assied près de moi, après avoir mouillé… les deux anisettes » ou des réflexions telles que « t’es seul ? C’est bizarre. D’habitude, comme mes couilles, vous allez par deux ? »

Cela dit, je pense que le texte reflète parfaitement la réalité… On y voit quelques violences sur les suspects, des gardes à vue musclées où on tabasse un peu beaucoup (surtout à des endroits où ça ne se verra pas !), des magouilles, des menaces pas très déontologiques… On y voit surtout ces braves flics, sensés protéger la veuve et l’orphelin, se bourrer la tronche du matin au soir ! ça picole, là-dedans, c’est incroyable ! Au commissariat, un bar est aménagé à la cave, dans lequel ils descendent vraiment souvent. Et je ne compte pas le nombre de fois où les collègues se retrouvent dans le café d’en face pour boire un coup, en plein milieu de la journée… Je veux bien avaler qu’on doive parfois boire pour mettre en confiance un indic, mais bon… Cela dit, je vous rappelle que nous sommes dans le Noooooord…

« Voulez-vous boire un petit apéritif en attendant, inspecteur ?

– Non merci, madame Mauricette, jamais d’alcool pendant le service. Donnez-moi plutôt une bière, s’il vous plaît. »

Eh bien oui, ici, la bière, ça n’est pas de l’alcool…

Bref, les flics ont un niveau bac moins 4, et ce sont de gros alcoolos violents et malhonnêtes… Rien qui ne m’étonne vraiment, à vrai dire, puisque j’ai depuis ma tendre enfance une répulsion viscérale pour ce corps de métier, et tout port d’uniforme représentant l’autorité (sauf les gentils pompiers) et que j’ai tendance à les dénigrer systématiquement… D’ailleurs, le mantra familial pour motiver les enfants à travailler à l’école est « si tu ne bosses pas, tu finiras caissière à Carrefour (pour les filles), ou flic (pour les garçons) ! »… Je sais bien que je caricature et que, fort heureusement, tous les membres de la police ne sont pas ainsi, mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils sont malgré tout un certain nombre à correspondre à cette image. Le roman se passe certes dans les années 70, mais je pense que cela n’y change pas grand-chose…

Par contre, le type de violences et la criminalité ont évolué et les représentants de l’ordre ont maintenant à faire avec des malfrats bien plus teigneux, malins et dangereux qu’à l’époque…

L’auteur égratigne aussi au passage un peu le système : « je me suis toujours demandé pourquoi certains magistrats, au lieu de nous soutenir dans la lutte contre la délinquance, nous mettaient des bâtons dans les roues » et l’ensemble de ce roman très réaliste, qui apparait plus comme un récit de choses vécues, se lit avec grand plaisir.

Alix Bayart

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