La vie n’est pas une sinécure. Être un animal ne change rien au problème. Au contraire : le quotidien est une lutte perpétuelle entre l’instinct et l’intelligence. Vous en doutez? Plongez dans ce livre étonnant, dont la finesse des réflexions philosophique ne manquera pas de bousculer vos certitudes. Entre conte philosophique, polar et roman animalier, un univers envoûtant et déroutant.
RÉSUMÉ :
Les Lions sont dans Paris! Et ils commencent à s’en prendre aux humains. Les animaux savent bien que pour continuer à vivre en bonne intelligence avec les hommes, ils doivent bien se garder de les attaquer et les déranger, sous peine d’extermination massive. Le Conseil des Animaux de Paris se résout à faire appel à Karka le Corbeau freux, vieux détective oublié et solitaire, qui coule des jours mélancoliques dans son arbre, en quête de réponses à ses interrogations métaphysiques.
Un roman d’une remarquable originalité, tant sur le fond que sur la forme.
Rares sont les livres qui dénotent une véritable recherche stylistique. Rares également sont les auteurs dont la prose est une véritable ode à la langue française, entre la délicatesse de la poésie, la beauté voluptueuse des passés simples et la modernité des idées et du langage. Avec sa Mélancolie des corbeaux, Sébastien Rutés est de la trempe des écrivains qui éblouissent les lecteurs les plus exigeants.
Le talent de cet auteur n’est cependant pas fait que d’apparat. Sa maîtrise stylistique lui permet de se payer le luxe d’un réel travail d’exploration et d’expérimentation de nouvelles formes romanesques. Il s’aventure dans des intrigues inédites, dangereuses, et s’en tire bien : mettre en scène les animaux de Paris dans un roman policier, il fallait oser. On se prend à considérer avec beaucoup de sérieux cette faune bigarrée qui hante les rues et les airs de la capitale. Les réflexions de Karka le Corbeau sur la mort, la maladie ou l’amour sont d’une profondeur qui force le respect. La Tourterelle est une petite pimbêche, les Chats de dangereux loubards, et le vieux Lion a bien mérité sa retraite au Jardin des Plantes. Bref, on reste ébaubi devant tant d’imagination et impressionné par la consistance de ces personnages inhabituels.
Pour autant, le principal défaut réside dans le surprenant décalage entre le fond et la forme: le contraste est saisissant entre la richesse du style et la décevante simplicité de cette fable animalière. Le processus d’identification, condition nécessaire au lecteur pour s’immerger dans un récit, n’est pas aisé ; malgré l’habileté de l’auteur, il n’est pas certain que chacun puisse se laisser captiver par ce roman policier d’un autre genre. Le style époustouflant et les considérations intéressantes sur la vie n’ont pas suffi et j’ai refermé ce livre à la moitié ; alors que Monsieur Choco, pour sa part, a été pénétré par ce roman et l’a dévoré. Mais incontestablement, Mélancolie des corbeaux est une belle réussite.
À conseiller si…
… un corbeau croasse inlassablement sous vos fenêtres. Vous n’aimez pas les corbeaux ; c’est gros, noir, moche, menaçant. Mais ça, c’était avant Mélancolie des corbeaux. Maintenant, vous trouverez cet épais volatile presque attendrissant et plein de sagesse.
Hélène
[stextbox id= »info » color= »0000ff » bgcolor= »ffff00″]Sébastien Rutés, Mélancolie des corbeaux, Actes Sud (2 octobre 2011), 240 pages, 19€[/stextbox]
EXTRAITS :
Les meilleurs choix procèdent-ils de l’instinct ou de la raison?
– Tu ne me sortirais pas d’ici?
– Pourquoi le ferais-je?
– Pourquoi ne le ferais-tu pas?
– Pourquoi pas en effet? La cage n’avait qu’un loquet, le bec du Toucan ne passait pas entre les barreaux. À moi, il ne m’aurait rien coûté de le pousser mais l’instinct ne m’y encourageait pas. Qu’avaient à voir avec les miens les malheurs de ce drôle d’oiseau? Etait-il meilleur pour moi de le voir dehors que dedans? Les efforts ne se consentent pas pour rien, pourquoi agir lorsque ni la faim ni la peur ne nous y obligent? L’altruisme et la solidarité ne sont pas naturels… ni non plus la raison: sans savoir pourquoi je poussai le loquet. On a parfois de ces comportements inexplicables qui nous paraissent sur le moment une victoire contre l’instinct et dont on finit toujours par se repentir tôt ou tard. Plus tôt que tard dans mon cas…