Nantes. Statues en transit : la fontaine de la place Royale entre mémoire et métamorphose

Depuis quelques jours, la fontaine de la place Royale à Nantes ne présente plus son visage familier. Les statues allégoriques du XIXe siècle qui en ornaient les niveaux ont été démontées, sous l’œil intrigué des passants. Officiellement, il s’agit d’une opération de restauration. Mais cette cure de jouvence s’accompagne d’une décision artistique audacieuse : dans le cadre de l’édition 2025 du Voyage à Nantes, ces figures classiques vont temporairement céder leur place à des sculptures hyperréalistes représentant des Nantaises et Nantais d’aujourd’hui.

Un patrimoine en chantier

Classée monument historique, la fontaine de la place Royale – inaugurée en 1865, conçue par l’architecte Jean-Baptiste Ceineray et le sculpteur Amédée Ménard – symbolise la Loire et ses affluents sous les traits de femmes majestueuses. Cet ensemble néoclassique, abîmé par le temps et les éléments, nécessitait depuis plusieurs années une restauration en profondeur. C’est chose faite en ce mois de juin 2025, avec un chantier supervisé par la Ville de Nantes, en coordination avec les Bâtiments de France.

Les statues originales ont été extraites avec soin, une à une, puis envoyées en atelier pour nettoyage, consolidation et traitement hydrofuge. Il est prévu qu’elles retrouvent leur place… mais pas tout de suite.

Art contemporain et relecture urbaine

Car entre-temps, le Voyage à Nantes – événement artistique estival qui transforme chaque année la ville en musée à ciel ouvert – a saisi l’occasion pour faire intervenir l’artiste Valérie Jouve. Cette photographe et plasticienne, connue pour son travail sur la représentation des corps dans l’espace urbain, propose de remplacer les figures mythologiques par des représentations réalistes d’habitants contemporains.

Des moulages en résine, peints à la main, représenteront des Nantais issus de milieux variés : une infirmière, un lycéen, une retraitée, un jeune migrant, un artisan, etc. L’effet visuel sera volontairement troublant, flirtant avec le trompe-l’œil, dans une mise en scène qui interroge la légitimité symbolique de qui trône dans nos espaces publics.

Une provocation assumée

La décision divise. Pour les uns, il s’agit d’un geste fort : remplacer temporairement l’idéalisme figé d’un art masculin du XIXe siècle par des visages d’aujourd’hui, concrets, divers, vivants. Pour d’autres, cette substitution temporaire relève d’une forme d’iconoclasme culturel, voire de mépris envers un patrimoine classique que Nantes a déjà tendance à négliger.

La mairie, par la voix de l’adjointe à la culture Catherine Lejealle, assume pleinement : « Il ne s’agit pas de supprimer les anciennes statues, mais de créer un dialogue. Cette ville évolue, et son art dans l’espace public aussi. » Une plaque temporaire mentionnera l’histoire de la fontaine, et un QR code permettra aux visiteurs de visualiser les anciennes statues.

Et après ?

L’installation contemporaine restera en place jusqu’en septembre. À l’issue du Voyage à Nantes, les statues classiques reprendront leur place. Restaurées et revalorisées, elles retrouveront leur rôle de gardiennes d’eau, dans un nouvel écrin technique modernisé.

Cette opération, au-delà de son aspect spectaculaire, ouvre un champ de réflexion plus vaste : que faisons-nous de notre patrimoine figé ? Le restaurer ? Le muséifier ? Le faire dialoguer avec le présent ? Nantes, une fois encore, expérimente, au risque de déplaire. Mais n’est-ce pas là le propre de l’art public : provoquer, questionner, interroger la place du passé dans les formes du présent ?

À propos de l’artiste Valérie Jouve
Photographe et cinéaste formée à l’anthropologie, Valérie Jouve explore les tensions entre l’individu et l’espace urbain. Depuis les années 1990, son œuvre brouille les frontières entre documentaire et mise en scène, entre art et sociologie. Avec une grande rigueur formelle, elle capte les gestes, les regards, les postures, révélant la présence humaine dans sa dimension politique et sensible. Présentée dans de nombreuses institutions françaises et internationales, son travail questionne sans relâche notre manière d’habiter le monde.