Quatrième roman policier pour Emmanuel Grand qui déploie son intrigue du côté de St Nazaire et de son pont qui plane sur une histoire mouvementée et documentée.
Cela commence par la fin. Ou presque. Franck, un jeune homme, est accroché dans le vide au pont de St Nazaire. Il voit les lumières de la ville dans cette nuit qui va devenir sa dernière nuit. Il va plonger, tomber, ajouter son nom à la liste infinie des suicidés du pont.
Franck Rivière, 21 ans, espoir du football local, voire national, s’est jeté des 68 mètres de la structure d’acier. Fermé le ban. Y’a rien à voir. Ou presque. Cependant, Marc Ferré, capitaine qui a passé son enfance dans la ville de Loire Atlantique, qui en connait tous les ressorts et les coins d’ombre, a des doutes. Et si ce jeune homme avait caché des secrets, révélé des failles ?
Derrière les grues, les silos, les chantiers navals, se meuvent en effet des femmes et des hommes avec leur vie de labeur, de misère, de richesse, de réussite. Osmose entre des lieux qui vont du plus grand port de la côte Atlantique aux marais sauvages de la Brière, entre les riches résidences de Pornic et La Baule aux cités ouvrières du chantier naval. Quand Julia, la soeur de Franck, avocate de talent, montée à Paris, pour fuir une famille et une région qui l’étouffait, revient chez elle, c’est pour effectuer un pèlerinage qui lui fait redécouvrir l’évolution d’un monde qu’elle avait figé dans sa mémoire d’adolescente. Choc de culture entre un cocktail mondain parisien et le bar local où le père broie le noir de sa vie d’ouvrier. Ainsi oscille en permanence ce polar à la facture classique dans son intrigue, bons et méchants, pègre et notables, trafic de stupéfiants et affaires florissantes, mais qui analyse parfaitement, sans caricature, une société provinciale de notre temps.
On est en terrain connu, celui du bon polar social à la française de Daeninckx, celui qui dénonce les petites et grandes lâchetés basées sur des inégalités sociales, les pouvoirs secrets des notables locaux, la misère financière et intellectuelle des sans-grades. On pénètre dans les riches demeures où derrière les petits fours se dissimulent de la poudre blanche, des mœurs dissolues. On se trouve presque en immersion documentaire tant le tintement des verres de cristal, emplis de champagne, sonne juste.
Emmanuel Grand avait déjà utilisé avec talent cette veine dans ses trois précédents romans, Terminus Belz, Les salauds devront payer et Kisanga. Maîtrisant parfaitement son intrigue, par une suite de flash-backs très bien construits, il compose à la manière d’un puzzle une histoire à tiroirs qui raconte aussi un passé, des paysages indissociables de la vie des hommes. Avec une économie de moyens, que l’on connaisse ou non les lieux évoqués, on respire avec Franck, jeune footballeur perdu entre un futur modeste et clos et un avenir riche mais illégal, on respire les embruns de l’estuaire, on pénètre dans l’odeur d’embrocation des vestiaires de foot, on sent le gros rouge qui pique du bar à ouvriers. Et les amours d’enfance ne sont jamais loin, permettant à Marc et Julia de respirer l’air du large. Et même plus.
Démarrant très gentiment, le roman s’accélère comme une voiture d’un go-fast, celle que Franck utilise pour se permettre de rêver à une vie loin de St Nazaire. Le lecteur attaché à son siège se blottit alors, accroche sa ceinture jusqu’à une déflagration finale, explosion témoin d’un bon polar réussi.