Deux femmes, deux générations partent sur les routes en quête d’un grand amour passé. Fabien Toulmé comme à son habitude dessine un récit profondément humain et touchant. Bouleversant.
La couverture ne ment pas. Elle dit beaucoup de la tendresse qui parcourt ce roman graphique magnifique. Le bleu domine, le bleu de la mer, du camion, de la route, d’un arbre. Le bleu des fonds de pages heureuses. Dans le bleu du véhicule deux personnages souriants.
La passagère c’est Suzette, la Mamoun, sexagénaire, elle vient de perdre son mari, Bernard. Elle n’arrive pas pourtant à être triste. Au volant c’est Noémie, sa petite fille adorée, fleuriste et amoureuse de Hugo. Une termine sa vie, l’autre la commence et le décès du papou adoré va libérer les vannes, permettre de révéler des secrets. Que sait-on de la vie intime de nos parents et encore plus de nos grands-parents ? Des images sépia posées sur une commode, des souvenirs de pêche, mais encore ?
Petit à petit, Suzette va se confier, livrer ses secrets intimes, raconter la vraie vie, pas celle des repas de famille du dimanche midi, mais celle des failles, des fêlures, des bonheurs manqués ou réussis. Toutes deux vont partir sur la route des amours passés, des amours à venir, confrontant leurs expériences, leur différence générationnelle et se découvrir mutuellement. Le talent de Fabien Toulmé réside dans sa capacité à dire l’essentiel avec le minimum d’artifices.
Il nous avait séduit et touché avec Ce n’est pas toi que j’attendais où il racontait l’arrivée dans son couple d’un enfant « différent ». Sa magnifique trilogie L’Odyssée d’Hakim disait l’exil d’un émigré syrien. À chaque fois l’émotion passe par des mots de tous les jours, des dessins a priori simples et sans fioritures.
C’est cet humanisme que l’on retrouve dans les amours de Suzette qui ne raconte pas la vie d’une rockstar vieillissante, mais celle d’une mamie que l’on connait ou dont on a rêvée. On part avec elles sur la route dans le camion bleu à la recherche du passé, de souvenirs et on envie à chaque page de découvrir le virage suivant, celui qui offre une nouvelle vue, une nouvelle perspective, en prenant soin de garder dans le regard le rétroviseur, pour ne rien oublier.
Les liens familiaux sont essentiels certainement dans la vie de Fabien Toulmé qui sait observer un bisou sur la joue, une caresse de la main, un regard et les traduire avec un simple trait, une bouche en forme d’accent circonflexe ou un oeil rond comme une cerise. Il le fait en prenant son temps, en laissant les cases se multiplier pour dire sans forcer sur les mots. La vie est un long voyage et il ne faut pas retenir que les seuls moments forts qui restent exceptionnels.
L’auteur donne son temps au temps dans le bateau qui emmène Hakim ou dans le camion qui transporte Suzette et Noémie. Et la couleur réduite à quelques teintes nuancées, a pour seul objet de traduire une émotion, un moment. Pas réaliste cet arbre bleu, mais il ajoute à la plénitude du dessin, au bonheur du moment en restant aussi discret et nuancé. Fabien Toulmé nous parle ainsi de la vie sentimentale des sexagénaires, mais aussi des étudiants qui vont acheter leur premier lit chez Ikea.
Il est un dessinateur de son temps et donne de Noémie un subtil portait féministe. La jeune femme se découvre presque elle-même en écoutant les préjugés de sa Mamoun, les obstacles, les difficultés auxquelles Suzette dut faire face : « les filles étaient élevées pour penser à leur mari, à leur famille avant de penser à elles ». Des mots simples révélateurs d’un changement de génération qui font de Noémie une fille de son époque, libre, espiègle, femme tout simplement. Et tout cela se fait très souvent autour d’un bon verre, d’un petit repas ou d’un bouquet de fleurs comme dans la vraie vie, celle de la famille ou des amis. Sur la couverture, si on y prête attention une inscription est écrite sur le camion en petit « Le bonheur en fleurs ». Une belle définition de cette BD qui fait sacrément du bien en préférant les iris aux orties.