Après 4 ans de silence littéraire, Fred Vargas, archéozoologue dans le civil, revient avec un petit bijou intitulé. Dans Temps glaciaires Fred Vargas campe à nouveau son policier fétiche, le Commissaire Adamsberg, qui apparaît dans presque tous ses polars depuis L’Homme aux cercles bleus (1991).
Il vaquait, marchait sans bruit, il ondulait entre les bureaux, il commentait, arpentait le terrain à pas lent, mais jamais personne ne l’avait vu réfléchir. Il semblait aller tel un poisson à la dérive. Non un poisson ne dérive pas, un poisson suit son objectif. Adamsberg évoquait plutôt une éponge, poussée par les courants. Mais quels courants ? D’ailleurs d’aucuns disaient que, quand son regard brun et vague se perdait plus encore, c’était comme s’il avait des algues dans les yeux. Il appartenait plus à la mer qu’à la terre.
Policier de l’émotion et de l’intuition, un peu comme Maigret, Adamsberg est entouré de son encyclopédique autant qu’éthylopathe adjoint Danglard et d’une inénarrable escouade de flics atypiques. Le roman, à l’image du tableau « Machine à coudre avec parapluies » de Dali, fait coexister les inconciliables au sein de l’intrigue : une secte robespierriste plongée dans un remake hypnotique de Thermidor et une petite île islandaise de fin du monde, Grimsey. Tout ça pour régler quelques comptes post-échafaud vieux de deux siècles au milieu de drames familiaux auxquels se trouvent mêlés des enfants ballottés par une mère égoïste…
Adamsberg attrapa son téléphone, écarta une pile de dossiers et posa les pieds sur sa table, s’inclinant dans son fauteuil. Il avait à peine fermé l’œil cette nuit, une de ses sœurs ayant contracté une pneumonie, Dieu sait comment. – La femme du 33 bis ? demanda-t-il. Veines ouvertes dans la baignoire ? Pourquoi tu m’emmerdes avec ça à 9 heures du matin, Bourlin ? D’après les rapports internes, il s’agit d’un suicide avéré. Tu as des doutes ? Adamsberg aimait bien le commissaire Bourlin.Grand mangeur grand fumeur grand buveur, en éruption perpétuelle, vivant à plein régime en rasant les gouffres, dur comme pierre et bouclé comme un jeune agneau, c’était un résistant à respecter, qui serait encore à son poste à cent ans.- Le juge Vermillon, le nouveau magistrat zélé, est sur moi comme une tique, dit Bourlin. Tu sais ce que ça fait, les tiques ?
À partir de là vont se présenter quatre types de situations pour le lecteur :
Ceux qui sont fans de la Révolution française et de l’Islande adoreront sans concession.
Ceux qui détestent la Révolution et les paysages désolés, volcaniques, battus par les vents et les marées des contrées islandaises se gargariseront d’avoir eu raison.
Enfin se dessineront deux groupes intermédiaires : les nostalgiques de la Première république, mais frileux ; les amoureux de la nature sauvage et contre-révolutionnaires bon teint.
Ce sourire fait mal. La passion, qui visiblement a bu tout son sang et séché ses os, laisse subsister sa vie nerveuse, comme d’un chat noyé jadis et ressuscité par le galvanisme, ou peut-être d’un reptile qui se raidit et se dresse, avec un regard indicible, effroyablement gracieux. L’impression toutefois, qu’on ne s’y trompe pas, n’est point de haine ; ce qu’on éprouve, c’est une pitié douloureuse, mêlée de terreur.
L’intrigue se déroule petit à petit comme un chantier de fouille au figuré et même au propre en progressant par enlèvement successif des couches les plus superficielles pour atteindre le noyau central de l’histoire.
Le polar frise par moment le fantastique climatologique avec une créature de la mythologie islandaise l’Afturganga quelque part entre l’Ankou breton et le zombie haïtien qui appelle ses victimes pour les étreindre dans des volutes de brume. Mais il en faut plus pour arrêter Adamsberg et ses séides, aidés dans leur quête par quelques boissons fortes et autres pommes paillasson.
– Ben, c’est pas trop long, tu devrais trouver. Creuse. C’est une pensée que t’as pensée et que t’as pas fini de penser. Faut pas perdre ses pensées comme ça, hombre. Faut faire attention où on range ses affaires. Ton adjoint, le commandant, ça le gratte aussi ? Et l’autre, avec les cheveux roux ?
– Non, ni l’un ni l’autre.
– C’est que c’est bien une pensée à toi. C’est dommage, quand t’y réfléchis, que les pensées n’aient pas de nom. On les appellerait, et elles viendraient se coucher à nos pieds ventre à terre.