Avec Terminus, Daniel Pennac met un point final au cycle romanesque des Malaussène, publié depuis 1985 chez Gallimard. Ce dernier opus, paru le 5 janvier 2023, termine la série dans un feu d’artifice jubilatoire et tendre.
Ce qui est bien avec Pennac, en cette période de froidure, c’est qu’il nous donne des rendez-vous bien au chaud, comme des habitudes, des rituels, des envies de se glisser sous la couette pour y retrouver de bons vieux amis. Sous la couette, mais en tout bien tout honneur bien entendu. On s’installe et il nous raconte ce qui arrive à cette famille Malaussène, famille tentaculaire dont on sait tout, ou presque, depuis plus de trente-huit ans et ce Bonheur des ogres qu’il évoque dans cet opus, comme il évoque les six autres romans de la série, en clins d’œil de connivence avec ses lecteurs.
C’est bien de connivence qu’il s’agit, celle forgée entre nous et ses personnages multiples, aux visages et aux formes si bien saisis par Tardi, aux noms et aux surnoms improbables et pour lesquels, il faut bien avouer, un arbre généalogique, en début, et un répertoire des personnages, en fin, nous aident à retrouver la trace. Juste pour vous remettre les idées à l’endroit, faire marcher votre cortex et votre mémoire. Sachez donc que vous allez retrouver Maracuja dite Mara, C’est un Ange dit Sept, la Juge Talvern dite Verdun mais aussi Claudia Cardinale et, encore plus inédit, JR faisant voler au-dessus des toits parisiens le cimetière du Père Lachaise.
Pas d’inquiétude pourtant, vous allez vite reprendre vos marques et le fil de l’histoire commencée il y a six volumes. Dans le tome 1 de l’épisode précédent, Le cas Malaussène : ils m’ont menti, des membres de la famille enlevaient un richissime homme d’affaires influent, Georges Lapièta, pour monter notamment une œuvre artistique vivante, une « installation ». Mais chez les Malaussène, qui possèdent des amis chez les truands, les flics, les riches, les pauvres, rien ne se passe comme prévu et même avec le sourire, les cadavres et les flaques de sang déboulent dans le premier escalier venu, celui des premières pages quand de faux flics et de vrais truands se tirent dessus avant de remettre cela quelques chapitres plus loin, quand les mêmes recherchent un propriétaire de camion-librairie parti en balade pour des retrouvailles de nouveau troublées par des fusillades meurtrières. Vous l’aurez compris, on ne s’ennuie guère et la construction habituelle de Pennac, qui saute de situation en situation, alternant les lieux, les personnages nous montre qu’en matière de roman policier il n’y a pas que les enquêtes millimétrées d’Agatha Christie ou les ambiances noires de Dashiell Hammett. Il y a l’humour, la tendresse de Belleville. Et ces monologues de Benjamin Malaussène que l’on a envie d’apprendre par cœur et de réciter sur une scène de théâtre.
Plus encore qu’à ses débuts, l’auteur malicieux s’amuse et glisse de nombreuses références à notre époque. D’un côté il y a l’amour et la formidable scène entre Verdun, (mais si, c’est la juge Talvern !) et son mari Ludovic, qui lui fait l’amour comme un boulanger puis comme un juriste, et les considérations sociales telles les scènes de meurtres et de fusillades filmées par des adolescents heureux de diffuser ces horreurs sur les réseaux sociaux. C’est ainsi de nos jours, ma brave dame.
Cette fois-ci ce n’est pourtant pas un membre de la tribu qui occupe la place centrale. C’est Pépère et « Pépère, c’est Pépère » comme dit le répertoire des personnages. C’est le chef des méchants, « il a la mort dans le sang ». C’est peu dire que la mort, surtout celle des autres, ne lui fait ni chaud ni froid. Il est bien entouré, ou mal entouré, cela dépend de quel côté on se place. Kamel, Kébir, Léo, Marguerite l’assistent et tous, qui n’ont pas ses facultés de détachement, vont susciter des situations gênantes et compromettantes. On n’a guère envie de vous en raconter plus, et à dire vrai on aurait du mal, tant cela court, galope des Fruits de la Passion, un orphelinat, à la Quincaillerie où habite la famille Malaussène. Même les cadavres avec Pennac donnent souvent envie de sourire et leur trépas glisse jusqu’à la ligne suivante avec une facilité désarmante.
L’auteur nous dit dans son titre lui-même qu’il s’agit là de son dernier Malaussène. Le lecteur n’est pas obligé de le croire car tous les membres de la fratrie ne sont pas morts en 2023, loin de là, et « tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir ». Et tant qu’il y a de l’espoir, on peut penser que Pennac, pris de remords, se remettra au travail pour que nous puissions de nouveau nous glisser sous la couette en écoutant de belles histoires. « Il y a les désastres, songeait Titus, et il y a les désastres absolus ». Mais il y a aussi des bonheurs, comme celui des Ogres (« le premier tome » complèterait Pennac), et des bonheurs absolus comme celui de ce Terminus.
Terminus Malaussène de Daniel Pennac. Éditions Gallimard. 2023. 450 pages. 23€.