« le passé m’est comme une terre étrangère »
1986, à Prypiat à côté de Tchernobyl, quelques jours avant la catastrophe. Le Mariage de Piotr et Anya est interrompu par un incendie à la centrale… Thierry et David ont aimé différemment ce film :
Pripiat ? Qui connait le nom de cette ville ? Tchernobyl ? Ah oui, bien sûr…
Nous, ici, nous nous souvenons. L’indignation (déjà), les balivernes (toujours) et puis une sorte de mythe, une légende noire. Un pur sujet de documentaire. Un classique pour faire pleurer dans les chaumières.
Voilà la question : comment faire un beau film sur l’ignoble ? Sur l’échec d’un modernisme débridé qui s’est effondré et sur celui d’un autre qui balaie les cendres de ses vices sous un tapis de vertu. Faire et offrir un film noble, sincère, vibrant… Une œuvre, vraie parce que personnelle, sans mot d’ordre et sans moraline sur le meurtrier silencieux qui ravage sans nom ni visage.
crire et dire, en images et en sons l’indicible, l’invisible qui emporte tout. Non seulement les êtres aimés mais aussi le souvenir, l’enfance, la ville, les jeux ; tous ces riens qui tissent l’intime et ne se remarquent pas de leur vivant. Ces images et ses sons qui font resurgirent la douce moiteur sépia de ce que nous fumes. Que faire dès lors que la chaleur féroce des radiations en a éradiqué à jamais la chaleur ? Vivre ? Vivre encore, encore dans « la zone »… ? Oui, au plus proche des sensations dissoutes par la folie de l’atome.
Fusionner plus amoureusement encore avec ce que fut ce lieu anéanti par l’orgueil de la fission. Avec toutes les énergies affectives qui émanent si faiblement de ces ruines. Celles-là, au moins, les humains qui survivent peuvent les ressentir. Bien plus que les radiations.
Comprendre ? Que pourrait bien y comprendre « les autres » à la « zone »(1). À cette zone d’exclusion qu’ils visitent comme un parc d’attraction-désastre. Il n’y a que pour ceux qui survivent que la « zone » a encore un nom. Il se prononce avec délectation, comme la vodka avalée le long de la rivière ensoleillée : Pripiat !
La terre est outragée, oui… mais, loin du réquisitoire méchamment « écolo », la réalisatrice fait percevoir au spectateur avec justesse que la « terre » vit aussi des affections humaines, des synergies des émotions, des attachements et… des souvenirs ! La radioactivité peut vitrifier la matière, pas les âmes. Il y a dans les atermoiements de l’héroïne toute la tendresse de l’humble puissance de la résurrection, quand bien même certains ressentiront cet état comme mortifère.
C’est sans « fausse révolte », sans éclat de voix, sans dénonciation « indignée » mais avec une poésie rare, ambitieuse et très accessible que ce film traite d’un sujet ô combien difficile. Une prouesse si rare dans le cinéma occidental. Et qui fait de beaucoup de films russes ces « ocnis (2) qui ravissent ou irritent.
Thierry Jolif
(1), les références « subtiles » au Stalker de Tarkovski sont une autre réjouissance de cet excellent long-métrage.
(2) Objet cinématographique non identifiés (ou plutôt non-identifiables)
Un film qui raconte la catastrophe de Tchernobyl va forcément être un moment dangereux pour son réalisateur. C’est donc avec une certaine retenue que David accueillit l’œuvre de Michale Boganim.
Surtout que la catastrophe racontée par des Français et une Israélienne ne m’encourageait pas à être plus enthousiaste que cela. De toute façon, seul le résultat de la projection allait parler et la chose fût faite.
En tant que fan de fantômes, j’ai été servi par ce film. Car oui il s’agit d’un film et non pas d’un documentaire. Le récit qui raconte la vie autour de cette catastrophe est assez crédible pour nous happer tout au long de la projection. Un retour aux sources parfait. L’énergie vitale contenue dans l’œuvre est euphorisante. Les ambitions se décuplent et les espoirs sont grandissants.
Regarder ses gens vivre, dix ans plus tard, dans ses terres outragées est autant une leçon de vie qu’une torture pour nos âmes.
Avoir fait d’un des personnages, Anya, un guide, est juste une perversion sans nom. Même si on devine aisément toute l’ironie qu’il y a derrière cette image. Observer notre belle guide accueillir ces touristes pervers dans cet endroit encore radioactif est juste un coup de poing en pleine face.
C’est le début du grand questionnement. Pourquoi habiter encore là et ne pas fuir ? On pourrait tenter d’y répondre, mais chacun aura sa propre réponse. Et personne n’aura plus tort que raison donc.
En dehors de ce point de vue, le point fort du film repose évidemment dans ses acteurs. Ils sont tous incroyables même si on décernera une mention particulière à Olga Kurylenko dans le rôle d’Anya.
D’un point de vue technique, la façon de filmer par l’intermédiaire de panoramiques ondoyants offre une sorte de danse filmique enivrante. C’est un joli ballet qui est offert ici. Tout est grisé, épuisant.
Et puis qu’est-ce qu’un voyage quand il n’y a plus de lieu d’où partir ni d’endroit où aller ?
Le choix de l’intériorité plutôt que du démonstratif est aussi un point fort qu’il faut souligner. Surtout que ce choix ne fait rien perdre au réalisme et même bien au contraire peut-être.
Il faut dire que l’exposition des détails à travers toute l’œuvre a été une grande idée fulgurante.
J’ai aimé aussi être embarqué dans l’atmosphère que la réalisatrice nous propose. Teintée de romantisme, elle est juste agréable et bienfaisante.
Un film visionnaire et fort qu’il m’a été intéressant de voir tant l’ensemble est une grande réussite.
La jolie résurrection d’un Paradis perdu, mais qui se retrouve petit à petit totalement.
Une aventure qui offre une certaine ivresse dont on ne va pas se défaire pas si facilement et c’est tant mieux.
Même si toute cette grandeur ne se fait pas totalement sur la longueur, et c’est bien dommage.
David Norgeot
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