Trois jeunes dans les rues de Dakar. Entre tradition et modernité, attrait et rejet de la France, ils hésitent pour leur avenir. Un roman à la langue métissée, plein d’énergie et de vie. Un bonheur de lecture. Tibi la Blanche de Hadrien Bels aux éditions Iconoclaste.
Décidément, Hadrien Bels a beaucoup à voir avec le soleil, les villes chaudes, celles où la vie se meut dans la rue. Après son remarquable premier roman Cinq dans tes yeux (l’Iconoclaste 2020) consacré à Marseille, à son quartier du Panier, aux bobos, mais aussi à Ichem, Kassim, Djamel et Ange, il nous emmène errer cette fois-ci avec Tibi la Blanche dans les quartiers de Dakar auprès de Tibi, Issa et Neurone, trois adolescents en attente des résultats du bac, le diplôme nécessaire pour débuter ce qu’ils pensent être leurs vraies vies. Une attente insoutenable, digne d’une intrigue de roman policier. Tibi veut la mention exigée par sa mère pour aller étudier en France. Neurone, surnom évocateur, n’attend que le « Très Bien », mention qu’il récolte toute l’année du haut de la réussite sociale de son père pour partir dans les plus grandes écoles de l’hexagone. Et puis il y a Issa, celui qui passe ses examens avec un Bic marabouté, accessoire indispensable pour lui donner les idées originales qui lui font défaut et lui permettront d’intégrer une école de stylisme et de haute couture.
Attirance, répulsion, ces jeunes qui ont l’avenir devant eux hésitent, un peu comme la société sénégalaise, à adopter un sentiment et une attitude clairs face à la France, ce pays qui fascine mais dont on dénonce aussi son néo-colonialisme. Pour un sénégalais, « la France c’est la femme auprès de laquelle tu vas te plaindre de tes maux de dos, alors que tu réserveras tes prouesses de lit à ta maîtresse ».
Cette ambivalence, « le bâtiment du consulat de France ressemble à un vieux blanc qui pue l’histoire embarrassante », traverse tout l’ouvrage comme un fil conducteur. Hadrien Bels précise que lors de son dernier séjour dans la capitale sénégalaise « des graffitis » France dégage » recouvraient les murs de Dakar » et que ces mots l’ont touché. « C’est une longue et bouillante histoire commune qui a parfois du mal à contenir ses rancœurs » confie-t-il.
Mais on ne peut résumer ce magnifique roman à cette problématique politique car ce livre est avant tout un formidable manifeste d’amour à la vie, au langage, à l’inventivité des mots. Marseillais, Hadrien Bels l’est de naissance. Dakarois, Hadrien Bels l’est depuis l’âge de 20 ans, depuis qu’il va chaque année rendre visite à la famille sénégalaise de sa femme. L’écrivain écrit et décrit ce qu’il voit et vit, ces lieux et ces gens qu’il a le temps d’observer et de connaitre, car tout sonne juste dans ses livres. Des dialogues aux lieux, des mots aux sentiments, c’est presque à une immersion sociologique qu’il nous convie mais une immersion heureuse, joyeuse, triste, tendre, inquiète, celle qui grouille à Dakar, cette ville dont il nous fait sentir le pouls. On se rend avec Issa et Tibi chez le marabout, on se balade dans les rues de terre et de poussière à la manière de ce SMS dont l’auteur imagine le voyage, passant par le marché de Diamaguène et par chez Babacar qui fait le meilleur pain-omelette du monde, avant d’atterrir sur le Samsung 32 Gigas de Tibi. On erre ainsi entre modernité et traditions, une autre hésitation de ce monde happé par la technologie mondiale, et le poids des habitudes que souhaite surtout perpétuer les épouses. Une Soninkée doit se marier avec un autre Soninké répète à l’envi Aïcha la mère de Tibi. On rit publiquement devant les conseils du marabout, mais finalement on les suit dans le secret de sa chambre. On ne sait jamais. On ne s’assied pas à la légère sur des siècles de traditions.
Hadrien Bels ne tombe à aucun moment dans la caricature. Tout sonne juste et grâce à ces mots de la rue, de la vie, il nous donne, outre un grand plaisir de lecture rythmée par des chapitres courts et incisifs, à voir l’énergie extraordinaire d’une jeunesse qui a envie d’entreprendre, qui se débat avec son futur. Il n’est pas tombé seulement amoureux de son épouse, mais aussi de son pays dont il sait à merveille sentir le pouls, ce battement qui vient du cœur.