Tilly Norwood, l’actrice qui n’existe pas mais fait trembler Hollywood

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Tilly Norwood
Tilly Norwood

Elle a 27 ans, un sourire lumineux, un visage qui accroche immédiatement la caméra. Mais Tilly Norwood n’a jamais passé de casting, n’a jamais répété une réplique, ne prend ni repas ni sommeil. Parce que Tilly n’existe pas.

Fruit des algorithmes de la start-up Particle6 et de son studio IA Xicoia, Tilly Norwood est présentée comme la première actrice générée à 100 % par intelligence artificielle. Un avatar photoréaliste, doté d’une biographie fictive et d’une aura médiatique savamment scénarisée.

Le coup d’éclat a eu lieu en septembre 2025 au Zurich Film Festival. Dans un court-métrage intitulé AI Commissioner, Tilly campe un rôle comique — sa première “performance”, entièrement produite et animée par IA. Sur scène, sa créatrice, Eline Van der Velden, fondatrice de Particle6, explique vouloir “ouvrir un champ artistique inédit, où l’on n’embauche pas une actrice, mais où l’on licencie un personnage virtuel”.

Depuis, Hollywood bruisse de rumeurs : des agences de talents discuteraient de sa représentation, les studios s’interrogent sur son potentiel “bankable”, et les réseaux sociaux s’embrasent autour de son compte Instagram où apparaissent, comme pour n’importe quelle star, photos de plateau et confidences de coulisses.

La réception a été immédiate… et contrastée.

  • Emily Blunt juge l’expérience “vraiment effrayante”.
  • Whoopi Goldberg met en garde : “Vous n’aurez jamais de connexion avec une IA. Nos visages bougent différemment, nos corps aussi. Une actrice humaine, ça ne se remplace pas.”
  • Melissa Barrera appelle les comédiens à boycotter les agences qui signeraient de telles “créatures numériques”.

À l’inverse, d’autres observateurs voient dans Tilly une nouvelle forme de marionnette technologique, ni plus ni moins scandaleuse que l’apparition du cinéma d’animation, du numérique ou du motion capture. Pour Eline Van der Velden, Tilly est d’abord “une œuvre d’art et un outil créatif, pas une menace”.

Le cas Norwood soulève pourtant des questions lourdes. D’où viennent les traits de son visage ? Sont-ils composés à partir de milliers de photographies existantes, et donc de personnes bien réelles ? Quels droits à l’image, quelle rémunération, quel consentement ?
En Europe, le récent AI Act impose de signaler la nature artificielle de tels contenus. En France, le CNC pourrait aller plus loin, en réservant les aides publiques aux films recourant à de véritables acteurs.

Tilly Norwood
Tilly Norwood

Derrière la prouesse technique se profile un débat anthropologique. Car qu’est-ce qu’un acteur sinon une présence ? Un corps traversé par le temps, l’imprévu, l’accident du jeu. Ce que Roland Barthes appelait le “grain” de la voix, de la peau, de la fragilité humaine.

Faut-il craindre que Tilly inaugure une ère où les écrans seraient peuplés d’êtres qui n’existent pas ? Peut-être pas si vite. Le public acceptera-t-il d’aimer, de désirer, de s’émouvoir devant une créature dont il sait qu’elle est fabriquée ? Rien n’est moins sûr.

Reste que Tilly Norwood, en quelques jours, a déjà réussi ce que bien des jeunes actrices espèrent : faire parler d’elle, fasciner, scandaliser, diviser. Sa carrière est peut-être encore virtuelle, mais son impact est bien réel.

Tilly Norwood
Tilly Norwood

Repères

  • 2023-2024 : grève historique des acteurs américains contre l’usage de l’IA dans les studios.
  • 2025 : création du studio IA Xicoia, filiale de Particle6, par l’actrice et productrice Eline Van der Velden.
  • Septembre 2025 : présentation de Tilly Norwood au Zurich Film Festival, projection du court-métrage AI Commissioner.
  • 29-30 septembre 2025 : premières réactions internationales. VarietyThe GuardianDeadline et El Paíss’emparent du sujet.
  • Fin septembre 2025 : vives critiques d’actrices telles qu’Emily BluntMelissa BarreraWhoopi Goldberg.
  • Aujourd’hui : débat mondial sur la place de l’IA dans la création cinématographique, entre curiosité artistique et crainte pour les métiers du jeu.

Analyse juridique et culturelle (France / Europe)

1. Statut d’une actrice IA
En droit français, Tilly n’est pas une personne physique → elle ne peut ni signer de contrat ni jouir de droits de personnalité.
L’entité contractante serait Particle6 / Xicoia, qui “licencierait” son image.
Problème : les termes employés (“actrice”, “casting”, “représentation”) sont métaphoriques → risque de confusion et de pratiques commerciales trompeuses si le public n’est pas clairement informé.

2. Droits d’image et propriété intellectuelle
Si le visage de Tilly résulte d’un composite d’images humaines (banques de données, actrices, anonymes), on peut se heurter à :

  • Droit à l’image (article 9 du Code civil, RGPD si données biométriques).
  • Droit d’auteur si des photographies sources sont utilisées.
    En Europe, le AI Act (2024) impose la transparence : les contenus générés par IA doivent être signalés comme tels.
    → Dans un film diffusé en France, le spectateur doit savoir que l’“actrice” est artificielle.

3. Impact social et culturel
La France, via le CNC et les syndicats d’acteurs (SFA, SACD), a toujours défendu la spécificité humaine du jeu d’acteur.
Un précédent existe avec les débats autour des hologrammes de chanteurs décédés (Claude François, Dalida, etc.). → La loi n’interdit pas, mais la pratique reste encadrée.
On peut anticiper des quotas ou clauses dans les aides publiques au cinéma français : obligation de recourir à des acteurs humains pour bénéficier du financement.

4. Enjeux philosophiques et artistiques
Tilly incarne un glissement du star-system : l’acteur humain, jadis figure centrale, pourrait être concurrencé par des avatars “éternels” et contrôlables.
Cela rappelle l’apparition du cinéma d’animation ou du motion capture, mais avec une différence majeure : ici, il n’y a aucun humain à la base.
La critique française pourrait se scinder :

  • Les uns verront une révolution esthétique (un langage hybride entre cinéma, jeu vidéo et performance virtuelle).
  • Les autres une menace anthropologique : la disparition de la “présence” humaine, ce que Barthes appelait le “grain” de la voix et du visage.
Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens, telaviviens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.