Avec Tovaangar (Rivages), Céline Minard poursuit son entreprise d’inventer des mondes où l’humain n’est plus le centre, mais une espèce parmi d’autres.
Après l’excellent Plasmas et Faillir être flingué, elle s’aventure dans un futur post-humain où Los Angeles, renommée Hidden, dont la géographie est omniprésente, est redevenue une vallée luxuriante, traversée par des êtres mutants, des végétaux parlants, des corps hybrides. L’auteure campe un univers d’êtres insolites et fascinants.
Au cœur de l’œuvre brillent la figure de Paayme Paxxayt, rivière de l’Ouest, et l’esprit d’aventure d’Amaryllis Swansun et de ses coéquipiers lancés dans une singulière « expédition ». Des déserts aux canyons, en passant par les forêts et le cours de l’eau, ils découvriront une faune et une flore luxuriantes, mais aussi des cultures ayant tissé un lien inédit avec leur environnement.
« L’idée s’était formée peu à peu dans son esprit que la sauvagerie n’était pas une limite, mais une part du monde – considérable. »
Il faut saluer l’ambition et la puissance imaginative de Minard. Son roman n’est pas seulement une fable écologique, c’est une cosmogonie, une tentative de donner une voix à ce qui ne parle pas dans nos récits habituels. Le texte se veut biocentré, héritier des pensées de Bruno Latour ou Donna Haraway. Il place à un même plan humains, animaux, plantes et forces telluriques. L’univers est inventif, généreux, souvent fascinant.
« Le Corps de ce bois épousait et façonnait le relief au même titre que les mouvements telluriques qui l’avaient érigé et craqué, que les pluies qui l’avaient poncé, les eaux qui l’avaient raviné. »
« Ama avait très fortement l’impression d’évoluer dans un Corps constitué par des liens immémoriaux, une intrication d’échanges gazeux, liquides et ligneux. Elle percevait la respiration de la masse, la transpiration des feuilles, la circulation des matières et des phéromones de transfert. »
Toutefois, cette richesse se paie cher. Car Tovaangar est une exploration sans véritable enjeu. Pas de drame, peu de psychologie, encore moins de conflit. Le lecteur traverse ces paysages comme on déambulerait dans un jeu vidéo contemplatif. Le voyage se substitue au récit, au risque de lasser. Céline Minard a choisi de neutraliser le romanesque au bénéfice du flux vital. Hélas, ce choix radical a un revers qui est la neutralisation de toute intensité dramatique.
Autre déception, si Céline Minard nous avait habitués à des textes ciselés, tendus, où l’invention stylistique portait une véritable énergie, ici, la langue se fait fluide, transparente, presque trop facile. L’invention lexicale existe, certes, mais elle ne suffit pas à recréer la densité poétique qu’on attendait. Le résultat est parfois sembler hypnotique, souvent plat.
« Les époques révolues ont diverses manières de réapparaître. La Terre a son propre discours. Son vocabulaire est constitué des langages et des Corps des vivants. Passés et présents. »
Enfin, demeure une question de fond : le « réenchantement du monde » promis. D’accord, l’homme n’est pas supérieur aux autres espèces. Ok, la vie continue au-delà de nous. Mais ces vérités, pour fortes qu’elles soient, n’ont rien de neuf. Or, le roman les énonce comme des révélations, sans parvenir à en faire une expérience esthétique et incarnée. L’utopie biophanique vire à une sagesse douce, parfois simpliste, jamais bouleversante.
« Finie l’ère délirante où l’humain extrayait dans les quatre éléments : la Terre a dorénavant son propre vocabulaire. »
Tovaangar de Céline Minard est un geste littéraire qui s’inscrit comme un jalon dans le débat sur ce que peut être une littérature de l’Anthropocène. Mais ce geste se heurte à ses limites : l’imaginaire foisonne, mais le récit manque ; la langue s’épure, mais perd de sa force ; le réenchantement promis s’épuise dans l’évidence. Je suis sortir de cette lecture admiratif… et frustré. Céline Minard a offert une cosmogonie paradoxale: à la fois pétulante et anémiée, non un grand roman de l’« après ».
- Titre : Tovaangar
- Autrice : Céline Minard
- Éditeur : Rivages (Payot & Rivages)
- Collection : Littérature française
- Date de parution : août 2025 (rentrée littéraire)
- Genre : Roman d’anticipation / fable écologique / prose poétique
- Nombre de pages : 432 p.
- ISBN : 978-2-7436-6791-7
- Prix public : 23,50 €
