XYZT…est un condensé d’art interactif vraiment lumineux. Ici, la lumière transforme nos têtes d’anges en fantômes caspériens. Là, les néons deviennent des tapis mouvants. On est dans un espace où la pénombre transcende la lumière et où les visiteurs touchent du doigt la poésie virtuelle. Les deux artistes Adrien M & Claire B proposent dix installations numériques où les arbres à lettres composent des poèmes, et des rivières numériques noient nos émotions. Cette expo transfigure l’abstraction virtuelle dans une réalité augmentée. À découvrir sans a priori.
XYZT, les paysages abstraits, aux Champs libres du mercredi 13 mars 2013 au dimanche 14 avril 2013. Composée de 10 installations interactives, à mi-chemin entre le géométrique et l’organique, cette exposition d’Adrien Mondot et Claire Bardainne invite à vivre une expérience hors du commun : toucher du doigt des algorithmes, arpenter un espace numérique luxuriant, éprouver la matière de la lumière. Une exposition qui donne à sentir, mais aussi à réfléchir. Quelques pistes de réflexions naturelles…
« Je dis : une fleur ! Et, hors de l’oubli où ma voix ne relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. » (Mallarmé)
Paysage abstrait et jardin d’Éden
Un paysage peut-il être clos et un jardin ouvert ? Avec XYZT, la salle Anita Conti des Champs libres devient jardin. À en croire Foucault, ce dernier est « depuis l’Antiquité une hétérotopie heureuse et universalisante ». Une « hétérotopie », un espace dont les règles échappent à l’ordinaire mondain au profit d’une expérience amène, euphorique, érotique, voire civilisatrice, des individus et de leurs rapports. Nos représentations commencent ainsi avec le Jardin d’Éden.
Jardin médiéval, tendresse et amour courtois, jardin classique, beauté de l’ordonnancement classifié, jardin romantique, fusion lyrique, jardin énumératif et décadent, jardin réfléchissant et simulacre, jardin clos et mortifère, jardin métaphysique sur des falaises de marbre, jardin contemporain en quête de fonctions mimant d’introuvables essences, jardins-traces d’un paradis perdu – autant d’hétérotopies qui reconfigurent le monde.
Or, le jardin contemporain présente une particularité : ses matériaux et composants passant au premier plan, il s’offre comme un objet esthétique autonome. Un objet-fonction-lieu susceptible de générer des significations inédites.
Quatre lettres
X Horizontalité
Y Verticalité
Z Profondeur
T Temps
Quatre lettres pour décrire le mouvement d’un point dans l’espace et pour déployer un territoire tout à la fois réel et fictif. Des fragments de sensations concrètes, tels que marcher dans l’herbe ou mettre les mains dans le sable, sont transposés dans un univers numérique abstrait composé de lignes, de points, de formes.
L’exposition du travail d’Adrien Mondot et Claire Bardainne est conçue comme un cheminement entre des déclinaisons de la nature à travers des modélisations algorithmiques qui se traduisent en motifs géométrico-mécaniques à prétention organique. Dans un espace minimaliste à l’onirisme toujours en creux, des objets virtuels – comme des feuilles en forme de lettres ou des lettres en forme de feuilles – sont mus comme le fait dans le monde du vivant… le vivant.
Les installations revisitent d’anciennes techniques d’illusions pour ouvrir à la génération d’oeuvres combinatoires, creuset d’une fusion entre réel et fictif. Et si XYZT est composée d’une dizaine de pièces interactives, ce type dispositifs s’élabore selon une énumération potentiellement infinie. Une énumération ludique. Ni vraiment pédagogique. Pas plus qu’artistique. XYZT est une modélisation topique.
XYZT, modélisation topique
Mallarmé fut l’un des premiers à penser l’autonomisation du signe comme crise de la représentation. Le signe se déploie par une subversion de son locus référentiel, à la fois simple forme et excès de potentialités de sens. Dans XYZT, les dispositifs de Adrien Mondot et Claire Bardainne s’élaborent autour d’une manipulation du médium représentationnel qui est ici une sémiotique algorithmique à diffusion mécanique. L’ordre des choses est bouleversé. Il en va ainsi des frontières de l’inanimé et de l’animé, du réel et du fictif, de l’objet et du paraobjet, de la personne et de l’individu, du sujet et de la chose…
Le jardin que le visiteur parcourt ici est un lieu de croisement entre une nature sans naturel et un humain sans personne. C’est ainsi que, chemin faisant, la description s’élaborant, se déconstruisant pour se reformer, le référentiel homme-nature se dilue. Plus que la relation de l’homme au monde, c’est le traitement sémiotique qui apparaît dans XYZT la chose essentielle.
De fait, les installations semblent plus pointer leur propre univers de génération sémiotique que le monde compris comme lieu de rencontre et d’interrogation. Le jardin XYZT est un dispositif sémiotique qui évide la référence. La fonction esthétique supplante la fonction référentielle. Dans ce cadre, XYZT a le mérite de rappeler que toute tentative de recréation esthétique du monde n’existe pas sans la conscience du spectateur qui met ses dispositifs en mouvement.
L’infra-émotion, la forme de l’émotion
Ces fleurs, ce sable, ces feuilles-lettres qui se produisent devant le spectateur n’existent pas dans la nature, pas plus que dans l’ordinateur. Ils existent en tant qu’objets-représentations pour le spectateur. Et pour exister, les premiers se nourrissent du second, de son mouvement, de son énergie, de sa vie mécanique en somme. Dès lors, ces hybrides prennent sur le spectateur un curieux ascendant, ce dernier les laissant jouer avec l’image de lui-même ou les images qu’il se fait de la nature comme de sa nature.
Si Baudelaire affirmait que la beauté moderne consiste à ne pas imiter la nature, XYZT illustre ainsi un nouveau retournement. Il se traduit en émotion – émotion douce, un peu onirique, un soupçon magique, un trait énigmatique. Peut-être celle de Narcisse. Mais sous la douceur, les fragments se font-ils évocations ou effractions ? Effraction ou évocation du désir d’expérimentation et de dévoilement du promeneur, de soi. Infraction d’une nature sans naturel, d’un simulacre qui se donne des allures naturelles. Évocation d’une vanité qui révèle l’inacceptable finitude de toute vie naturelle.
C’est l’un des points centraux de XYZT que d’interroger l’interaction réel-fictif. Une nature-réalité-augmentée sans scories est-elle possible ? Paradoxalement, cette nature artificielle modélisée où l’individu expérimente des détournements de soi désigne en creux son contraire : la nostalgie d’une nature où l’homme pourrait se rencontrer lui-même, non en tant qu’objet mais en tant que personne. De fait, il est courant que cette nostalgie pointe dans les dispositifs d’artialisation technique en vogue dans l’art contemporain. Si ces derniers parviennent à digérer la réalité scientifique et industrielle, leur essentielle uniformisation ne tarde jamais à rappeler son caractère aliénant. Le jardin d’ADN pourra-t-il un jour faire oublier le jardin d’Éden ?
Champs libres ou jardin du Thabor ?
Ce jardin fictif qui gagne en naturel ce que l’individu perd en nature (sa personne) est une excellente illustration d’un dispositif sémiotique autoreprésentatif. Dès lors, reconnu dans son autonomie propre, il serait à notre sens particulièrement intéressant, pour ne pas dire intrigant, que cette exposition, prenne lieu dans un jardin réel. Peut-être un artifice, une manière détournée qui donnerait tort à Des Esseintes : « la nature a fait son temps, elle a définitivement lassé l’attentive patience des raffinés. »
Autour de l’exposition XYZT, les paysages abstraits :
• mardi 12 mars à 18h : performance dansée Hakanaï (dans la limite des places
disponibles, réservation obligatoire au 02 23 40 66 00)
• mardi 12 mars à 19h : inauguration ouverte à tous en présence des artistes
• vendredi 15 mars à 19h : conférence-spectacle « Un point c’est tout »
Une conférence-spectacle d’Adrien Mondot et Claire Bardainne. Duo sensible où se mêlent temps de parole, manipulations didactiques, jonglage et mouvements du corps, autour de matières virtuelles. (Réservation conseillée au 02 23 40 66 00)
Entrée plein tarif 3 € – tarif réduit 2 €
salle Anita Conti – rez-de-chaussée
Les Champs Libres – 10, cours des Alliés – 35 000 Rennes – renseignement : 02 23 40 66 00
Un médiateur vous accompagne dans votre découverte de l’exposition :
• du mardi au dimanche, aux heures d’ouverture de l’exposition
• les mercredis et dimanches à 15h et 16h, pour une visite en famille (45 min)
Visite-parcours avec le musée des beaux-arts : À la rencontre de l’abstraction
• mercredi 3 avril à 15h30 (en famille)
• samedi 13 avril à 15h
Visite interprétée en LSF (langue des signes française) :
• samedi 6 avril à 16h30
Les visites curieuses
• mardi 12 mars à 19h47 : souffles poétiques
• mardi 9 avril à 19h47: sur le bout de la langue