Au Domaine de la Roche-Jagu à Ploëzal dans les Côtes-d’Armor, Yvon Le Corre est l’artiste à l’honneur durant cet été 2016. Si vous cherchez à vous évader en Bretagne, si vous aimez les carnets de voyage, le dessin, la peinture, les odeurs d’atelier, une escale s’impose…
Le Domaine de la Roche-Jagu accueille au château près de 35 000 visiteurs. Chaque année, le public attend spécialement les expositions toujours pensées avec talent pour que l’architecture du lieu et l’esprit qui anime les jardins, avec cette vue imprenable sur l’estuaire du Trieux, renforcent l’envie de découvrir, l’envie de revenir, pour le seul plaisir de se laisser emmener quelque part, ailleurs.
Oui, la Roche-Jagu est de ces bijoux du patrimoine dont on tombe amoureux. Pour l’artiste breton qui y expose cet été, Yvon Le Corre, l’histoire nous emmène encore plus loin, très loin même, du désert à l’Antarctique, en passant par les paysages irlandais et les scènes de vie esquissées au Portugal. Le visiteur curieux saura retrouver au milieu des carnets, des tableaux, les mots d’amour du peintre à celle qu’il rencontre justement à la Roche-Jagu en 1978, sa femme, Azou.
1978, année charnière dans la mémoire du marin épris de liberté, dans ce parcours d’homme libre inspiré. L’art d’Yvon Le Corre est aussi art de vivre, art d’aimer. La scénographie au service des œuvres réussit à traduire l’intensité d’une présence, à soi, à l’autre, grâce à la personnalité de l’auteur, grâce à son amour inconditionnel pour ce qui fait la beauté d’une vie de voyage, ces rencontres que l’artiste consigne comme autant de trésors dans ses carnets à dessin. Ces rencontres dont il a tout appris. Sa première rencontre avec le désert par exemple remonte à 1959, c’est dire si ce baroudeur dans l’âme a vu du pays depuis… et du changement.
Vendredi 7 mai lors du vernissage, amis, habitués et invités déambulent d’une pièce à l’autre à l’écoute d’Yvon Le Corre qui ne feint pas son plaisir de nous entraîner dans son sillage. On ne se rend pas compte du travail que cela a représenté pendant les quinze mois qui ont précédé cette mise en espace si réussie. Tant mieux. Un vent de liberté flotte dans l’air. Le cadre soigné et raffiné dans lequel le visiteur se lance dans sa propre exploration ajoute au dépaysement. Pourtant, c’est parmi plus de 8000 dessins que Nolwenn Herry, commissaire de l’exposition, a dû patiemment tirer les fils d’une histoire, d’une démarche artistique, d’une exigence du regard et du geste pour en donner une lecture accessible à tous, adultes et enfants.
L’artiste mis à l’honneur, tenté par l’exhaustivité qui piège tant de rétrospectives, a finalement été séduit par cette ligne conductrice qui permet d’entrer dans son univers avec un bagage le plus léger possible pour laisser l’essentiel advenir. C’est ainsi que lui voyage, avec un sac en cuir dont la moitié est déjà rempli par son matériel de dessin.
J’ai vécu assez longtemps avec les touaregs pour savoir qu’on n’a pas besoin de grand-chose pour vivre
Toujours est-il qu’au fil des années, l’atelier du peintre-philosophe revenu à quai à Tréguier entre deux expéditions regorge de ces traces de vie nées dans l’instant, de ces recherches qui exigent a contrario de longues maturations. Dans l’exposition, ce rapport au temps fait son œuvre et explicite sans discours superflu le pourquoi de tous les modes d’expression choisis par Yvon Le Corre : aucun en particulier n’a vocation à capter toute l’attention. Des dessins jusqu’ici gardés secrets trouvent toute leur place, hors de l’atelier, pour accompagner le regard du public sans alourdir le propos de longues explications.
On découvre un Yvon Le Corre, expert du patrimoine maritime, absorbé dans la tâche à ne négliger aucun détail, fastidieux travail d’annotation qui montre déjà comment l’écriture et le dessin sont indissociables. L’écrit s’invite aussi dans le croquis pris sur le vif pour traduire l’émotion éphémère, l’instant furtif, et non pour emprisonner le réel dans une forme ou même l’illusion d’un mouvement. L’écrit déroule le récit plus construit dans les livres qu’Yvon le Corre, imprimeur, réalise dans son atelier. Ce n’est que dans la dernière salle que l’abstraction a le dernier mot, et encore, à y regarder de plus près…
L’ivre de mer est un de ces ouvrages de référence que l’on croise dans l’expédition… (lapsus), dans l’exposition de la Roche Jagu. On croise aussi dans des espaces intimistes la voix de l’artiste qui raconte, qui se raconte, avant la halte appréciée dans l’espace convivial et chaleureux de la bibliothèque du château. Idéal pour feuilleter à son aise d’autres beaux livres de voyage, comme s’il était possible par la seule magie du rêve éveillé de reprendre l’exploration un peu plus tard à la maison, à la première occasion.
Du croquis à l’abstraction, du trait au signe, de la lumière extérieure à celle qui illumine le dessin et la toile, cette invitation à prendre le large est le résultat de choix difficiles qui ont permis à Yvon Le Corre et Nolwenn Herry de manifester chacun à leur manière leur intérêt pour cette rétrospective inédite, afin d’offrir au visiteur les clés d’un monde que l’artiste interroge sans compromis, mais avec un respect réel pour l’autre et l’ailleurs.
Parmi les visuels du parcours, un diaporama montre l’étendue des sujets et la diversité des techniques choisis. Il convient de saluer au passage l’énorme travail de numérisation qu’a exigé cette exposition, ainsi que l’exceptionnelle qualité des reproductions. En voix off, Yvon Le Corre rappelle l’importance d’avoir eu la chance d’accéder très jeune au dessin. La chance aussi de se familiariser à la technique par l’école de l’émotion, du regard. « Pourquoi tu dessines ça ? » lui demandait son professeur. Il se rappelle aussi comment tous ces bateaux qui mouillaient dans les baies bretonnes étaient promis à la casse, avec en arrière-plan une question sans réponse : celle du sens qui sombre dans le néant avec un certain rapport au monde, à l’humain, un certain rapport à l’exigence, à l’esthétique qui disparaît avec l’injonction du progrès, de la modernité.
Par sa vie, ses voyages, son travail d’atelier, c’est comme si Yvon Le Corre voulait être de ces gardiens de phare qui n’ont pas renoncé à faire la lumière, là où les machines et d’autres logiques ont déjà pris leur place, comme si l’urgence était de chérir encore et toujours la lumière plutôt que de se préparer à l’extinction des feux.
C’est d’ailleurs en une phrase, empruntée à Nelson Mandela, qu’Yvon le Corre s’est exprimé à l’issue du vernissage. Il n’avait pas manqué tout au long de la visite d’insister sur le rôle des artistes, tout en remerciant celles et ceux qui continuent à penser la culture comme l’énergie première de nos sociétés contemporaines.
C’est notre lumière, pas notre ombre, qui nous effraie le plus. En laissant notre lumière briller, nous donnons incidemment aux autres la permission d’en faire autant. Lorsque nous sommes libérés de notre propre peur, notre présence libère automatiquement les autres. (Nelson Mandela)
Exposition, Dans le sillage du peintre, Yvon Le Corre, Domaine de la Roche-Jagu, Côtes-d’Armor, du 7 mai au 25 septembre 2016
Plein tarif : 5 €, tarif réduit : 3 €
Horaires d’ouverture
7 Mai — 30 Juin : 10 h — 12 h / 14 h – 18 h
Juillet — Août : 10 h — 13 h / 14 h – 19 h
1er septembre — 25 septembre : 10 h — 12 h / 14 h – 18 h
Durée moyenne de visite : 1 h 15
À noter : les animations estivales en lien avec l’expo
Café-rencontre avec Yvon Le Corre, dimanche de 15 h à 17 h 29/5, 12/6, et 4/9
Cinéma en plein air
Les 12, 13 et 14 août projection de trois films d’animation dont L’Île de Black Mór de Jean-François Laguionie pour lequel Yvon Le Corre a été consulté pour le dessin et l’animation des bateaux représentés, à partir de 22h (plein air, gratuit)
L’île de Black Mor, vendredi 12 août
Le tableau, samedi 13 août
Le château des singes, dimanche 14 août
Réservations au 02 96 95 62 35 | Apporter une couverture et un siège pliant.
Scolaires : Une équipe de médiateurs propose un accueil spécifique pour les classes pendant toute la durée de l’exposition. Les visites sont adaptées aux différents niveaux accueillis, du CP au BTS.
> Livret de visite de l’exposition pour les 8 – 15 ans, disponible sur demande.
> 20 élèves maximum
> renseignements et réservation au chateaudelarochejagu@cotesdarmor.fr ou au 02 96 95 62 35
Fiches pédagogiques à télécharger :
› télécharger la fiche pédagogique Carnet de voyage
› télécharger la fiche pédagogique Jeu de détail
Domaine départemental de La Roche Jagu
22 260 Ploëzal
Tél. 02 96 95 62 35
chateaudelarochejagu@cotesdarmor.fr
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Biographie :
Né le 7 octobre 1939 à Saint-Brieuc, Yvon Le Corre passe son enfance dans le village de
Tonquédec, dans le Trégor, à 10 kilomètres de la mer. Après la Libération, sa famille s’installe en bord de mer à la Vicomté-sur-Rance où ses parents sont enseignants. C’est à partir de là, comme il le dit lui-même, que « les choses de la mer deviennent mon quotidien ». Après des années d’adolescence insurgée, il entre à 16 ans à l’École des Beaux-Arts de Rennes après avoir déclaré à son père son désir d’être peintre. Renvoyé 6 mois plus tard, il prend la route du voyage pour partir en Yougoslavie où il inaugure sa pratique du carnet de dessin. De retour, il intègre en 1958 l’école Claude Bernard à Paris qui prépare au professorat de dessin d’où il sera exclu un an après. Passant alors par la Sorbonne pour suivre des cours d’histoire de l’art, il se passionne pour Hildegarde de Bingen tout en payant ses études en travaillant dans une imprimerie à Belleville.
À 26 ans, il obtient le CAPES, enseigne les arts plastiques à Paris puis à Morlaix, avant de quitter la Bretagne pour Marseille. Il est un temps professeur de dessin, et c’est à ce moment-là qu’il rencontre Titouan Lamazou qu’il initie autant au dessin qu’à l’art du voyage en bateau. En 1978, il quitte définitivement le métier d’enseignant pour se consacrer à son art et multiplie les voyages à bord de ses bateaux Iris, Eliboubane, ou encore Girl Joyce.
Expositions personnelles
• 1963 : première exposition au musée d’Art et d’Histoire, Saint-Brieuc
• 1972 : galerie Nègre, Marseille
• 1975 : galerie Duncan, Paris ; Palais des Congrès d’Aix en Provence
• 1990 : ouverture de sa galerie « Alexandrie »
• 1993 : galerie du Linkin, Perros-Guirec
• 1999 : galerie Canaletto, Sète, exposition en compagnie de Titouan Lamazou.
• 2000 : exposition aux Traouieros, Perros-Guirec
• 2001 : exposition à l’Atelier Estienne avec le sculpteur Lubchanski, Pont-Scorff
• 2003 : exposition de dessins, Sarajevo
• 2004 : galerie Ty Ar Show, Perros-Guirec
• 2013 : exposition à la Corderie Royale, Rochefort
Expositions collectives
• 1991 : « Voyages imaginaires au Cap Horn », Saint-Nazaire
• 2009 : « L’art du carnet de voyage de 1800 à nos jours », Musée de la Poste, Paris