Avec Zizi Cabane, Bérengère Cournut poursuit dans son style unique sa recherche de l’absence, du deuil. La beauté des mots pour dire les difficultés des survivants à continuer à respirer. Un roman doux et caressant paru aux éditions Tripode.
« Il était une fois… ». Imaginez. Imaginez vous, revenir en enfance, le soir sous la couette. Votre papa ou votre maman vous lisent un livre, un conte probablement. Zizi Cabane débute un peu comme cela, une impression de fable. D’abord, une famille : une maman, un papa et trois enfants, comme une famille d’ogres sauf que tous les cinq sont gentils. Les parents n’emmènent pas les enfants dans la forêt pour les perdre. Au contraire, ils les aiment et leur donnent leurs prénoms, non pas à la naissance, mais quand ils ont un peu vécu : Chiffon, Béguin et Zizi Cabane.
Et puis il y a la forêt, les collines, et la maison. Un jour, la maman, Odile, disparaît sans raison et la maison prend l’eau, une source l’envahit et la famille doit rejoindre le cabanon au bas du terrain. La vie est chamboulée. On ne peut plus vivre comme avant. C’est un peu le déluge, mais sans Noé. L’eau prend toutes les formes, ruisseaux, torrents, suintements, parfois larmes et caresses. Les cœurs aussi prennent l’eau depuis la disparition inexpliquée d’Odile.
« À cet égard, je trouve ça curieux, l’amour d’une mère. C’est quelque chose qui vous contient tout entier, durant neuf mois — puis qui vous lâche. Pas le choix — ni pour elle ni pour vous. Ensuite, c’est du soin constant, puis du souci. De la joie aussi. Enfin, j’imagine… Puis un jour, plus rien. Je veux dire : l’un des deux corps disparaît, le regard par lequel on était sans doute attaché l’une à l’autre, la mère et l’enfant, n’a plus lieu d’être, plus rien à quoi s’accrocher. C’est l’espace qui s’ouvre à la place — tout entier. C’est une libération peut-être. Je n’en sais rien, en fait. »
Souvent, c’est la plus jeune, Zizi Cabane, qui raconte du haut de sa petite enfance. Béguin ajoute parfois son grain de sel. Comme son père, Ferment. Ou O, la mère devenue élément liquide qui observe tout. Mais on ne se perd pas, on sinue entre les émotions des membres de la famille, on cherche la lumière dans les rivières souterraines.
« Oh, oh ! Je ne pleure pas, esquive-t-elle en souriant. J’arrose simplement les pensées que j’ai mises en terre récemment… »
Et puis… Et puis c’est tout. On ne raconte pas la poésie. On ne l’explique pas. On la lit. On la dit. On n’explique pas la magie des images, de la végétation qui envahit tout. On ne raconte pas Chiffon qui trace sur des chiffons usagés des cartes magnifiques. On ne parle pas du père qui creuse la nuit pour extraire la boule qui l’étouffe depuis la disparition de sa femme. Sinon à quoi cela servirait, les livres ? Et les magnifiques romans comme celui-ci ?
Bérengère Cournut, qui écrit des romans depuis plus de vingt années, a connu un immense succès avec son ouvrage précédent De pierre et d’os. Elle poursuit son cheminement avec sa manière unique de nous prendre par la main dans un univers qui lui est si propre, celui de la nature, celui de personnages féminins en route pour combler la perte d’un proche. Avec Zizi Cabane, elle nous partage sa vision animiste du monde, la recherche de forces telluriques naturelles supérieures à nos existences. La Nature, comme le vent qui refroidit le corps et le cœur de Zizi, relie les personnages de la famille qui s’est élargie, pour les aider à accepter le deuil.
On se laisse embarquer par le courant, on se blottit sous la couette, on regarde le dessin exceptionnel de la couverture, on tend l’oreille pour écouter la suite : « Il était une fois »… un livre poétique et magnifique capable de vous emmener ailleurs. Aux frontières du réel et de l’imaginaire.
Zizi Cabane, de Bérengère Cournut. Éditions Le Tripode. 240 pages. Prix: 20,00 €. 18 août 2022.