Lundi 14 janvier avait lieu la Journée de mobilisation des artistes et acteurs culturels, autrement appelée Art en campagne. Elle s’est déroulée dans 11 villes de France simultanément. Comme l’indiquait le dossier de presse, il s’agissait dans cette période électorale d’interroger les « politiques locales : un nouveau souffle pour une politique publique de la culture ? » Disons-le d’emblée, ce sujet et cette problématique n’ont pas été traités. Ou vaguement. Par un versant, voire un petit bout de la lorgnette. Récit d’une demi-journée qui illustre pourquoi le souffle de la vie culturelle rennaise manque de plus en plus d’oxygène.
C’est au Musée de la Danse (partenaire d’Unidivers) que s’est déroulée cette journée de mobilisation. Une centaine de personnes et trois élus politiques (une édile finistérienne, Sylvie Robert et Didier Le Bougeant) étaient présents. D’emblée, pour un « débat public rassemblant artistes, acteurs culturels et élus de Bretagne » durant une journée consacrée aux « politiques locales », à la « culture» en temps de « campagne », on regrettera une si faible représentation politique. Quant à l’organisation, elle était assurée et dominée par le Syndeac (Syndicat des entreprises artistiques et culturelles).
Après une introduction par sa représentante qui fit l’économie de rappeler le contexte de la journée « un débat public… » et la problématique « politiques locales : un nouveau souffle pour… », la parole a été donnée à un public essentiellement constitué de personnes liées au monde du spectacle et, accessoirement, des arts plastiques. Des sphères du cinéma, musique, culture scientifique, technique, médiatique, internet, radio, audiovisuel, pédagogique, écriture, livre, libraires, éditeurs, associations diverses et variées intervenant dans le projet républicain de formation et de transmission au profit de la construction du jugement autonome et éclairé des citoyens français – quasiment personne n’était présent à cette journée !
Dès lors, nous avons compris la teneur de cette manifestation : loin d’une journée de réflexion sur la culture, les politiques culturelles locales, la création sous toutes ses formes, les créateurs de toutes natures et les acteurs culturels en tout genre, une expression corporatiste a monopolisé cette journée et réduit toute l’ampleur du débat à quelques questions décousues et à de rares échanges, parfois véhéments, autour de la décentralisation, du pacte d’avenir d’une délégation de compétences culturelles, d’un guichet unique de demandes de subventions et du régime des intermittents. Réunion corporatiste qui a pris le public non prévenu de ce rapt culturel en otage (il nous a fallu puiser dans des trésors de correction pour rester jusqu’à la fin de cette réunion syndicale). Reste que nous avons vite compris pourquoi les autres acteurs culturels de Rennes n’étaient pas présents : ils savent, quant à eux, que les dés à Rennes sont pipés. Depuis longtemps.
Quant aux élus, lorsqu’ils ont accepté poussivement de répondre aux questions, le résultat ne fut pas fameux. La technique est toujours la même : noyer le poisson dans une logorrhée technique à effet auto-congratulatoire ou en déviant la question sur des thèmes en apparence similaires afin de conclure sur une autre idée tout en laissant croire qu’on a répondu. De notre côté, nous les avons interrogés sur la répartition des subventions dans le bassin rennais qui exclut bon nombre d’acteurs culturels dans un flou peu artistique (qui est le résultat conjugué d’un favoritisme ambiant au profit d’associations proches des élus et d’une absence d’audit culturel que refuse la mairie de Rennes depuis des années alors qu’il s’avère plus que jamais nécessaire). Aucune réponse des élus.
Pire que du mépris, il semble que ce petit monde politique et théâtral soit simplement indifférent aux autres. Pour eux, hors d’eux, il n’y a pas de culture. Il n’y a rien. Les autres acteurs culturels ? Bah, oui un peu, quelques-uns, mais ce sont des petits acteurs sans poids ou de méchantes entreprises libérales. Bref, si la culture est en danger à Rennes et en Bretagne, on comprend désormais mieux pourquoi. En la réduisant à la société du spectacle et des spectacles, c’est toutes les autres dimensions artistiques et culturelles – du petit producteur de stop-motion dans son salon aux libraires indépendants en passant par les trésors et dynamiques liés au patrimoine, les plasticiens, les designers, les artisans créateurs, la transmission de sédimentations immatérielle d’ordre symbolique, les cultures émergentes, néo-culture, urban, underground, mais aussi mainstream, etc. – qui sont minorées. De fait, à Rennes, en Ille-et-Vilaine et en Bretagne, certains artistes et certains acteurs culturels ont le droit de cité. Et pas d’autres. Hors des premiers, il faut en conclure que les centaines d’autres entreprises, associations et créateurs qui nourrissent et oeuvrent en faveur de la culture font un travail sans intérêt ; donc, les politiques publiques, les engagements pour les municipales et la décentralisation forcément, cela ne ne les intéresse pas. Nul besoin de les inviter à débattre, nul besoin de les entendre, ils n’ont rien à dire.
Il aura fallu attendre 17h30 pour qu’à la suite d’une longue explication laborieuse consacrée au projet de décentralisation culturelle, commence vraiment un début de débat. Deux interventions évoquent le risque du guichet unique (mettre son projet dans une seule main) et le risque de favoritisme (en fonction d’intérêts partisans). Deux dangers illustrés à la suite par l’intervention d’une élégante jeune dame, anciennement directrice du Centre national de danse contemporaine d’Angers, qui a relaté les constantes pressions qu’elle a subies de la part des élus afin de promouvoir leurs propres intérêts et ceux de leur entourage. Le débat qui commençait à devenir intéressant atteignait hélas son terme – 18h. Pourtant, nous en arrivions presque à la question capitale qui nécessite d’être posée dans le cadre de la décentralisation des politiques culturelles et que personne n’a pourtant pensé bon d’évoquer : Avec le retrait de l’Etat au profit des régions, de quelle manière empêcher l’émergence de baronnies néoféodales hyperclientélistes ? Et ce, dans tous les secteurs culturels.
Rennes et la Bretagne étant déjà passés avec la Côte d’Azur maîtres en la matière, il est de fait légitime de s’interroger sur les méthodes et les contre-pouvoirs nécessaires afin de contrôler une situation sclérosée où quelques édiles poseurs et palabrant se retournent pour jeter de temps en temps les écus des contribuables à leur suite de vassaux et autres courtisans.