BRECHT AU TNB, CHRISTINE LETAILLEUR RESSUSCITE LE BAAL PERDU

Baal au TNB est tel un poète sauvage, incongru, inconvenant dans les coulisses du monde culturel. Christine Letailleur a choisi de mettre en scène la première pièce de Bertolt Brecht, du 21 au 31 mars 2017, au Théâtre National de Bretagne de Rennes. L’idée promettait une représentation sulfureuse. Par bonheur, le feu de la pièce vient surtout de ce qu’elle brûle de l’intérieur, pour ainsi dire, de la superbe traduction d’Eloi Recoing jusqu’à la scénographie enlevée et un Baal moins vif qu’écorché.

BAAL Bertolt Brecht
Bertolt Brecht

On joue à la Baal ? Jeu dangereux que celui-ci : Bertolt Brecht écrivit la première version de sa pièce en 1918, juste après la Grande Guerre. Viendront ensuite cinq autres versions. Œuvre coup de poing, polémique, le Baal de 1919 tourne en dérision l’expressionnisme et le lyrisme de son époque. Baal, poète, maudit surtout, est le fils caché de François Villon, cet « assassin, brigand de grand chemin et auteur de ballades en Bretagne au XVe siècle » sur qui Brecht projetait d’écrire une pièce. Et de Rimbaud, Verlaine, Lautréamont. Don Juan en guenille, il boit, jouit de la vie et dort dans les tavernes. Il se refuse à « vendre ses poésies comme des saucisses ». Brecht est dans Baal, Baal est dans Brecht : la violence de l’un transparaît dans l’autre. On sait de Bertolt Brecht, dramaturge, poète et théoricien allemand du XXe, qu’il inaugura une révolution esthétique dans le théâtre. Souvent, les représentations contemporaines font grand cas, et grand bruit, des notions de distanciation et de théâtre épique : on voit fleurir panneaux et interpellations sur la scène, afin de convoquer le spectateur, de le faire réfléchir. Christine Letailleur a intégré cette dimension avec la subtilité d’une connaisseuse, pour ne pas dire d’une amoureuse : les ressorts du théâtre de Brecht sont « présent partout, visible nulle part ».

BAAL Bertolt Brecht
Christine Letailleur

À quoi tient la beauté de ce Baal ? Brecht ou Letailleur ? Le texte du dramaturge allemand est un brûlot, un « crachat à la face de l’art », pour reprendre une expression de Henry Miller, une prose d’un lyrisme sensuelle, matérialiste, ardemment politique. On saluera la décision de Christine Letailleur : la traduction d’Eloi Recoing s’avère superbe. Étions-nous au théâtre, ce mardi 21 mars ? Baal s’entend comme un long poème en prose et déchiré. Brecht a écrit en exergue de sa pièce que « Baal est contemporain de qui montera la pièce ». En effet, si l’on exclut la querelle esthétique sous-jacente au texte, qui ne choquera personne à notre époque, Baal est notre contemporain : parce qu’il est intemporel. Du reste, Christine Letailleur a basé sa scénographie sur cette intemporalité. Décor organique, sublimé par la vidéo, ellipses temporelles, traverses spatiales : la déstructuration du récit brechtien, dans cette représentation, isole les personnages dans un lieu qui est avant tout celui de leur conscience.

BAAL TNBt
Stanislas Nordey

Baal est incarné, dans la version de Letailleur, par Stanislas Nordey, lui aussi metteur en scène. Il campe avec brio un Baal déchiré, tantôt immoral, tantôt sublime. Sa diction, enlevée, lyrique, est toute en rupture. « Baal a quitté le monde, la société et l’Histoire : il s’est réfugié dans la nature, il appartient à celle-ci » explique Christine Letailleur. Le personnage de Baal s’avère, paradoxalement, exemplaire. Immoral, il offre au monde un renoncement critique, un élan vital, quelque chose comme le courage de la vérité. La pièce s’ouvre sur les vers de Baal, psalmodiés sur un blues cassé et détonnant. Parce que Baal est le modèle, l’anti-artiste, le même qui créera des Morrison ou des Cassady, l’une de ces « créatures crépusculaires et inachevées » dont parlait Benjamin.

Baal est une pièce de Bertolt Brecht mise en scène par Christine Letailleur au TNB, Rennes, du 21 au 31 mars 2017.

 

Avec Youssouf Abi-Ayad, Clément Barthelet, Fanny Blondeau, Philippe Cherdel, Vincent Dissez, Valentine Gérard, Manuel Garcie-Kilian, Emma Liégeois, Stanislas Nordey, Karine Piveteau, Richard Sammut
assistante à la mise en scène Stéphanie Cosserat
scénographie Emmanuel Clolus et Christine Letailleur
lumière Stéphane Colin
son et musiques originales Manu Léonard
vidéo Stéphane Pougnand
production déléguée Théâtre National de Bretagne/Rennes
coproduction Fabrik Théâtre, compagnie Christine Letailleur ; Théâtre National de Strasbourg ; La Colline, Théâtre National ; Théâtre de la Ville/Paris

 

Article précédentRENCONTRES DE BOITES, UNE FASCINANTE EXPLORATION INTIME
Article suivantCÉLINE LA RACE LE JUIF, UNE ENQUÊTE SANS CONCESSION

--> Rennais, pour recevoir chaque semaine par courriel nos derniers articles, cliquez ici

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici