Le quarante et unième album, d’Asterix en Lusitanie de Fabcaro et Didier Conrad, divise les lecteurs. Pâle copie ou fidélité aux créateurs ? Unidivers vous apporte quelques éléments de réponses. En toute subjectivité.
Laissez passer un peu de temps, le temps des médias, et de l’immédiateté. Personne ne peut l’ignorer : un nouvel opus d’Asterix a été édité le 23 octobre 2025. Impossible de ne pas avoir vu les piles de la BD dans les supermarchés, comme dans les stations services, et même, même, dans les librairies. On le sait, la mise en place d’un tel ouvrage est le fruit d’une vaste opération programmée dans le secret le plus absolu. Six mois avant la parution, seules quatre personnes sont au courant du scénario. Le cercle s’élargit peu à peu aux éditeurs étrangers puis aux traducteurs. Les journalistes qui disposeront de l’ouvrage quelques jours avant parution signent des clauses de confidentialité. Cinq millions d’exemplaires sont imprimés dont deux millions pour le seul marché français. Le prix d’achat est modique. La promotion est efficace avec même un passage des deux auteurs à la Grande Librairie. Tout cela on le sait, ou on le devine, et les réactions sont à la démesure de la parution.
Chacun(e) y va de son commentaire. La plupart des lecteurs, et même des critiques, réagissent à la manière de Proust et de sa madeleine : « je ne retrouve pas les caricatures cachées dans les cases », « le dessin est moins dynamique que celui d’Uderzo », « il manque des jeux de mots de Goscinny » …. Chacun recherche le souvenir de ses premières lectures. Comparaisons vaines, car elles signifieraient que le génie de créateurs serait transférable à d’autres auteurs. Mission impossible.

Uderzo et Goscinny étaient géniaux. Leurs personnages gaulois et romains uniques. Ces derniers sont morts en même temps que leurs créateurs. Accepter de les voir revivre sous les crayons d’autres auteurs, c’est accepter de les voir différemment, de les voir se transformer ou du moins changer. Alors la seule question pertinente est de savoir si leurs nouvelles aventures sont agréables à lire ou non. Quant au merchandising mis en oeuvre n’est-il pas la conséquence logique de la mise en vente d’ouvrages tirés, mais surtout achetés et lus, à plusieurs millions d’exemplaires ?
Respectant l’alternance originelle, après un épisode en Gaule, dans le village indompté, nos héros doivent quitter leur village. Le champ des pays non visités se réduit et finalement c’est en Lusitanie que Asterix et Obélix vont se rendre. Le prétexte est vite trouvé, et sans s’encombrer de circonvolutions scénaristiques, nos compères s’embarquent dès la deuxième page pour le Portugal et sa capitale, Olisipo. La mission des Gaulois est de délivrer, thème récurrent, un lusitanien, Mavubès, injustement accusé d’avoir voulu empoisonner César avec du garum, une sauce à bases de poissons. Pas, ou peu de bagarres avec les romains. Il ne s‘agit pas de sortir de prison Mavubès mais de prouver son innocence.
La balade à Lisbonne permet de découvrir des caractéristiques des Lusitaniens, adeptes de sentences philosophiques, notamment leurs goûts immodérés pour la morue, la faïence. Les corrompus et les méchants sont bien entendu les romains et notamment le gouverneur Pluvalus et son cousin Crésus Lupus, producteur de garum, qui veulent obtenir le monopole de la vente de la précieuse sauce en écrasant les petits artisans. Tous deux sont à l’origine du complot.
Aucun doute nous sommes en terrain connu. Fabcaro et Conrad maîtrisent tous les codes et nous surprennent même en faisant disparaitre pendant une dizaine de pages l’apparence physique de nos gaulois pour les transformer en parfaits lusitaniens. Les jeux de mots sont nombreux, réussis et même si la silhouette de César déroute un peu, Conrad met de plus en plus ses pas dans ceux d’Uderzo.

La lecture est fluide, agréable, mais une gêne subsiste, celle d’un signe des temps : le politiquement correct. Nous ne sommes pas certains que les créateurs auraient mis tant d’eau dans leur vin, ou plutôt dans leur potion magique. La critique bienveillante, mais acérée des « étrangers » se limite cette fois-ci à l’évocation de la saudade, une nostalgie omniprésente dans la vie quotidienne des lusitaniens, que symbolise le fado. Rien ou très peu des idées reçues sur des portugais maçons, à la forte pilosité. Baba, le guetteur pirate africain, disparu depuis plusieurs albums, a perdu son accent et prononce désormais les « R » avec une justification grotesque. Le lecteur ressent la volonté de faire consensus en réduisant la caricature au plus bas. Heureusement le ton est plus acerbe en ce qui concerne la critique de l’époque et du phénomène universel de la mondialisation accompagnée de la corruption. Même causticité entre l’évocation du gaulois moyen, croqué en touriste en charavane, qui rappelle étrangement nos camping caristes contemporains. Tout est question de curseur entre la provocation et l’aseptisation. Uderzo et Goscinny, avec leurs grands sourires, étaient plus subversifs qu’ils ne voulaient bien le dire.
En refermant la BD, sachant les nombreuses conventions imposées aux auteurs, notamment par Anne Goscinny et Sylvie Uderzo, on se dit que désormais la seule innovation possible est de briser les carcans imposés pour permettre aux héros de s’émanciper comme ce fut le cas avec Spirou et les nombreux successeurs de Franquin. Les lecteurs y perdront en nostalgie mais y gagneront en originalité. Et probablement en plaisir de lecture.
Astérix en Lusitanie de Fabcaro (texte) et Conrad (dessins). 46 pages. Éditions Albert René. 10,90€. Parution : 23 octobre 2025
À noter la traditionnelle magnifique édition de luxe, grand format, avec l’intégrale des crayonnés originaux et de nombreuses et passionnantes rubriques consacrées aux coulisses de la création. 42€.
